- Je ramais longtemps, n'économisant pas mes forces mais sachant adroitement diriger mon embarcation, profiter des courants que je connaissais bien. Enfin, après des jours de campement sur la glace, j'observais de loin des fumées qui ne pouvaient être que des feux de camps. Les hommes d'ici ne montent jamais jusque là et vous pouvez imaginer mon excitation à la vue de ces multiples colonnes, trop nombreuses pour n'être celles que d'un seul voyageur comme moi.

Je restais prudent car nul ne pouvait être sur tant de l'identité que des intentions de ces gens que je commençais à apercevoir, silhouettes en mouvements dans le camps. Mais décidais de les aborder tout de même, comme voyageur aventurier venu chasser sur ces terres.

Déception première : à l'oeil je reconnaissais un clan avec qui je traitais régulièrement. Ils sont réputés pour leurs fourrures de phoques et la manière dont ils les traitent, tout aussi bien que pour leurs curieuses temporalités, disparaissant de la circulation durant des mois avant de revenir pour troquer leurs prises magnifiques.

Du moins avais-je l'explication pour ces temps où nul n'entendait plus parler d'eux. Ils parurent assez peu ravis de me voir arriver, presque menaçants pour tout dire. Heureusement mon nom et mon visage étaient connus à nombre d'entre eux et trop précieux pour qu'ils se risquent à me faire du mal. Connaissant leur langue à peu près, ils m'expliquèrent venir en effet passer la saison sur la glace ; méfiants, ils s'interrogeaient sur mes motivations à monter si loin dans les glaces.

Je les leur avouais sans gêne : j'allais chercher femme chez ces peuples contés lors des veillées, ces peuples étranges et farouches.

Ils rirent. Les jeunes rirent beaucoup, largement moqueurs. « Quels peuples ? Il n'y a que nous ici et encore seulement quand la saison le permet. On peut te garantir que plus haut il n'y a rien, on le saurait depuis le temps ! ». Les vieux ne riaient pas, pas si haut. Mais ils ont la même dénégation. « N'y vas pas, tu n'y trouveras que la mort et le froid. Crois nous, tu ne trouveras rien là haut de ce que tu recherches. ».

Mais que m'importaient les peurs et les assurances de ces quelques peureux ? J'étais fier et fort, j'étais aventurier, chasseur et chercheur d'or. J'avais des armes et de la vigueur à revendre, je connaissais la vie dans ces contrées... Et plus que tout j'étais déterminé.

Je les remerciais à peine échangeais quelques fournitures contre de la nourriture et les laissais à leurs travaux. Je repartais vers le nord, plus volontaire que jamais.


A nouveau les jours et les nuits à ramer et grelotter. J'étais bien couvert, bien équipé, bien entrainé. Mais la progression n'était pas facile et certains jours je criais de rage devant des dédales de glace, devant les dangers qui me tombaient dessus sans arrêt. La nuit n'était pas plus confortable et souvent je me pris à regretter n'avoir pas quelques compagnons de voyage. Quelle folie que d'être parti ainsi ?

Mais alors l'image de ces femmes me revenait et déjà je pouvais voir celle qui serait mienne. La plus belle et la meilleure d'entre toutes, pour fonder mon foyer.


Alors je repartais, je continuais à m'aventurer dans ces contrées désolées.

Jusqu'apercevoir de nouvelles fumées. J'étais las, je ne voulais plus me faire d'espoirs à décevoir. Pourtant, si loin au nord après des jours sans croiser ni personne ni même trace d'un passage humain...


J'approchais, scrutant les visages et les traits, les tentes et les vêtements : non, je ne connaissais rien de ceux-ci ! J'étais bien arrivé en terre inconnue.

Je saluais, du geste que les autochtone utilisent pour les saluts de paix. Certains vinrent à moi, les enfants déjà couraient chercher sans doute un chef. Hormis ces derniers et quelques vieillards difficilement identifiables sous les pelisses, je remarquais que les lieux étaient occupés de femmes, se livrant aux activités traditionnelles du travail du cuir et de la tenue du camps. Sans doute les hommes étaient-ils partis chasser, même si leur absence totale avait de quoi étonner.


Je me présentais, avec force gestes et mimiques, aux premières qui m'accueillirent. En fait de chef c'est une femme, sans doute son épouse, qui vint à ma rencontre ; âgée d'une cinquantaine d'années, hautaine et fière mais qui me rendit mon salut de paix, souligné du geste d'accueil. Je ne comprenais pas leur langue, quoique certains mots soient proches des langues indiennes dont je maitrisais quelques bribes bien utiles dans le commerce. Mais les gestes étaient clairs : je montrais mes armes et quelques peaux, mes affaires de couchage. Je demandais à m'installer dans le coin, à l'audace. Un homme seul sans doute ne pouvait pas les effrayer, même si aucun mâle de leur clan ne semblait encore en vue. Quoiqu'un peu distantes, elles acceptèrent sans sembler poser de problème ; nouveauté pour moi qui d'expérience sait que les locaux n'aiment pas trop que nous venions trop près d'eux et que nul n'apprécie partager son terrain de vie.

Je m'installais un peu à l'écart du campement, observant d'un oeil leurs activités tandis que surement elles observaient les miennes. C'est alors que je remarquais ce qui ne m'avait pas frappé sur le coup : leurs traits, fins et marqués étaient ceux d'Européens, plus encore que ceux des métis que l'on peut croiser ici. A peine si quelques gouttes indigènes venaient cuivrer leur peau et assurer à tous ces cheveux d'un noir profond et ces yeux sombres.


A ce constat je sentais mon coeur s'emballer, autant que lors de la découverte des fumées du campement. J'y étais ! Ces journées à ramer dans le froid, à craindre quelque bête féroce, à me reprocher parfois cette folie qui m'avait fait prendre la mer seul... Tout avait porté puisque j'étais bien parvenu à mon but, à cette terre mythique aux tribus sans pareil. J'exultais, tisonnant mon propre feu. J'étais seul, sans moyens, sans même un attelage de chiens ; mais j'étais fort, j'avais surmonté les éléments ligués pour perdre le voyageur, les critiques des uns et les moqueries des autres. J'étais parvenu à ces gens décrits comme légendes.