A nouveau ce pays de pluie et les longues plages grises où le ciel se mêle à la mer. Dans les ports les navires font relâches, les voiles disparaissent des matures et les matelots s'égaient sur les quais. Direction la taverne et le bordel, direction les plaisirs des sens qui manquent par trop longtemps sur la mer où le corps est mis à rude épreuve. Ils s'étalent en bandes, rieuses et bruyantes, effrayant les uns, attirant les autres ; combien de jeunes garçons se joindront à eux jusqu'à parfois les suivre sur les navires, combien de jeunes filles auront promptement regagné logis afin de n'en pas croiser la route ?

Seul le mousse s'éloigne seul, trop heureux d'échapper enfin à la surveillance des supérieurs, tout homme ou presque sur le navire. Un ballot sous le bras, il tente de s'éloigner sur le port, mine de rien sans être remarqué ; manquerait plus qu'il ne soit rattrapé.

- Hé mignon, tu voudrais pas dépenser ta soldes en découvertes ? J'te garantis des voyages de plaisirs comme t'en as encore jamais vu....

Une belle plante, un peu grasse mais alerte, au maquillage lourd qui cache à peine les cernes marquées. Et dix autres de ses compagnes, qui savent les besoins des matelots à terre et les poches pleines d'une paye à peine versée.

- Bière fraiche, la meilleure de la ville !

Quelques cris vantent la boisson mais peu en comparaison : les marins savent trouver le chemin des débits sans qu'il ne soit nécessaire de les appeler.

Le mousse avance, rougit aux cris des dames et s'écarte des auberges ; partout où on l'appelle, il est fort probable d'y croiser ceux qu'il connait. Alors il s'écarte et seule une pensée guide ses pas : quitter la ville, gagner les falaises ou les bois.

Bien sur la mer l'appelle toujours ; il se souvient du jour où il a pris les flot, désespoir de sa mère et fierté de l'oncle qui avait fréquenté les pontons jusqu'à ce qu'ils le privent de l'usage de ses jambes. Mais la mer était en lui, il avait passé tant de jours sur les plages et dans l'eau que l'idée d'une vie de labeur au champs ne lui faisait qu'horreur.

Las ! L'horreur était venue plus forte sur le navire, corvéable par tous et maltraité par chacun. La vie était rude à bord mais bien pire encore qu'il ne l'avait imaginée, et bien différente selon le grade reconnu. Le mousse n'avait que celui du dernier maillon de l'échelle, base solide du fonctionnement du navire, sous les ordres de tous et les abus de chacun.

Alors le mousse avance, haletant un peu, d'angoisse plus que du pas rapide qui l'éloigne des quais. Tout en avançant, il remâche ses décisions, ses projets. Retourner à la ferme ? Il n'est pas encore rendu à cette extrémité. Assumer le regard de l'oncle et les larmes de la mère, revenir s'atteler à l'araire... Non. D'autant qu'il sait la ferme trop étroite pour assumer une bouche en plus et sans doute que l'aîné s'est à présent marié.

Alors il avance et fuit, s'éloigne de quais mais non de la mer. Il sait où vont les déserteurs et les fuyards, repris de justices et ceux qui y échappent. Il sait aussi comment se venger d'une marine trop dure et tant pis si des innocents en pâtissent.

Il ira rejoindre les naufrageurs.

Ceux-là même que l'on maudissait sur le navire, que l'on craignait assez pour narrer à leur sujet des dizaines de récits enjolivés.

Il ira rejoindre les naufrageurs.