Foutu temps. Foutu temps et foutu pays. On n'a pas idée d'habiter ainsi sous la pluie. Fait chier. Je veux dire, à ce niveau ce n'est plus de la pluie, juste une information qui vous dit de vous faire poisson. De l'air en eau.

Si encore ça s'arrêtait ; mais non, les poissons aiment-ils à vivre à sec ? Un petit bond de temps à autre, juste de quoi vous rappeler l'environnement familier où vous retournez. Un petit moment sans crachin, histoire de se souvenir comme c'est bien. Et ça retombe. A ce rythme on comprend qu'il puisse exister des déserts, à nous l'eau à eux la lumière.

Lumière. On fait donc des hommes par ici et même des bougies. Trois masures, autant rêver pour y trouver de quoi loger. Dieux savent pourtant qu'une grange me suffirait, même un sol à nu pour peu qu'on y soit au sec : ce pays vous rend moins regardant du moment que vous échappez au pire.

Une porte branlante, ça ne respire pas le luxe ici mais l'on s'en contentera. Pas fâché d'avoir un meilleur toit que ce vieux galurin de feutre, plus qu'à espérer qu'on ne vienne pas m'en déloger. Doucement les bêtes, continuez à pioncer je ne veux qu'en faire autant.

Viser l'échelle qui tient bien, grimper là haut trouver le foin. Non, c'est pas une vie de cheminer par ici, entre la flotte et les gens aussi avares que leur ciel, qui de sourires qui de soleil.

S'enfuir à l'aube de crainte qu'en plus d'être grincheux, les locaux n'aient que peu d'affection pour les miséreux. Enfin, au moins leur foin est bon et je ne manque pas de matelas lorsque j'entre en silence dans les étables. Pays pourri qu'il me faut traverser, rappelez moi de plus jamais ne m'y fourvoyer. La prochaine fois je partirai plus loin peut être mais vers le soleil, mieux vaut cuire encore que moisir.

Et merde, étonnament il pleut encore aujourd'hui. Foutu pays. Heureusement qu'il paraît qu'une grande bourgade n'est pas loin, peut être l'occasion d'y faire ressemeler mes brodequins. Marre d'avancer les pieds mouillés.

Et tout ça pour une foutue promesse. Tu m'as à la bonne, hein toi là haut ? Remarque, tu dois pas y voir grand chose vu la couche nuageuse qui te fait une sacrée litière.

Je sais que ce n'est pas bien. Mais je crois que ceux qui doivent avancer mouillés et transis peuvent bien blasphémer à l'envie. Bien sur que j'y tiens à tes faveurs, mais si le martyr était nécessaire fallait prévenir, j'aimais presque mieux monter sur le bûcher que crever d'humidité.

Si froid. Des jours que je marche et le sanctuaire est encore loin. Les crétins d'ici en remarquent à peine les signes et se foutent bien du pèlerin. Trop de mythes ici ont la vie dure pour laisser vraiment place à d'autres croyances. On dit cependant qu'ils vénèrent également la grotte sacrée quoique je ne tienne pas à savoir ce qu'ils vont y saluer.

Toi là haut si tu m'entends, tu pourrais pas arrêter un peu de pleurer ou pisser ? Avec tout ce qui tombe, j'espère au moins qu'on boit bien chez les tiens.

Tellement fatigué. Je sais j'ai promis d'y aller à pieds et par mes propres moyens. Mais c'était sans compter ce pays si terrible sur la fin. Des jours et des semaines que je marche, il me semble. On perd un peu le compte quand tout ce qui importe se résume aux prochains pas, à la prochaine étape et aux craintes liées au repas. Et au but qui approche si lentement, au rythme d'un marcheur toujours plus las.

Dis, tu m'en voudras si je fais un écart ? Après tout ça reste mes propres moyens, ceux que tu daignes mettre sur mon chemin. Juste pour un jour ou deux, selon sa destination, grimper dans la charrette de qui voudra bien me transporter. Marchand de vin ou paysan du coin, qu'il vise une odyssée ou le premier marché... Quitte à avancer sous la pluie, autant quand même s'arroger quelque facilité.

Bien sur c'était en comptant sur le passage. Soit les lieux sont assez déserts pour que rien n'y chemine, soit qu'ils passent très vite les jours où il pleut moins... Suis sûr que la boue n'a jamais temps de sécher, qu'à chaque voyage on prie pour ne pas s'embourber.

Ce qui nous pousse à prendre la route, quand même. Mesure, toi là haut, les efforts qu'on fait pour te plaire. Sans doute que ça te fait marrer, de nous voir à ce point patauger. On est con, parfois, de t'adorer comme on fait mais que veux-tu, c'est pas le soleil que tu nous envoies qui nous réchaufferas le coeur et l'espoir ! Alors on marche jusqu'à toi, vu que tu galères à venir ici bas.

Ah, quand même, un peu de passage dans mon sens, on entend d'ici s'enfoncer les sabots dans le sol détrempé. Bon d'là, un péquenot local et sans doute un de ces coqs de village encore, deux boeufs gras sous le joug et bon nombre de ballots derrière l'homme emmitouflé. Allez, camarade, un geste pour un frère de route qui patauge ?