Il est bien sur question de corps. Corps enjeu, corps en jeux.
Corps sien accepté comme part de soi, corps des autres en qui se reconnaître ou pas, reconnaître un et des partis pris de vie. Dans son état, dans ses usages aussi. Réceptacle des sens et de l’esprit, interface au monde et lieu, état de vie.

Vivre dans plus que vivre avec et surtout pas contre ou en dépit de. Contre certains défauts et manquements, en dépit de ce qui peut y faire défaut évidemment. Mais vivre dans, vivre par ce corps aussi qui modèle en partie l’esprit –et réciproquement.

 

Mens sana in corpore sano disaient-ils. Vaste programme utopique en chacun de ces deux objectifs. Mais si ce qui est beau n’est pas toujours bon, n’en déplaise à Platon, il est vrai qu’en partie le corps se fait image et présentoir de l’esprit –bien sur en partie.

Il y a ce qui est donné, avec ses limites et ses cahots, il y a ce qu’on en fait, ce qu’on trouve à en faire et même si chacun ne part pas du même point, afin de présenter son être au monde.

Bien sur en partie. Mais quelque part en effet, dis moi comment tu uses et traites ce corps en vie et je te dirais qui tu es. Du moins une partie de qui es-tu ? En tous cas de qui tu sembles être au regard externe.
Peut-être pas tant, certainement pas tout.

 

Mais le corps tout de même, interface et présentation de l’esprit au monde, premier contact avec celui-ci. Alors, sculpté et même paré tant par la volonté que la génétique et le vécu, les injonctions et les hasards de vie, c’est aussi un peu, beaucoup de soi que l’on y lit.

L’inné et l’acquis. Les dons gratuits et le chèrement appris. S’y lisent et passent encore, passent en corps et vivent avec. Vivent en. Etre vivant.

 

On ne se défait jamais d’un tel ancrage et support. Et puis quoi encore ?

L’esprit pur n’est pas, pas même dans les recoins de sa tête. Sculpté, animé et porté par les aléas d’une vie qui n’est pas que spirituelle.

Et l’esprit même est encore celui qui goûte et savoure ô combien de messages et d’informations portés, permis et médiatisés par le corps et les sens.

Corps coordonné à l’esprit.

Harmonie ? Pas toujours évidemment. Même pas question seulement.

Deux facettes d’un même être, inséparables et réciproquement construites, l’une par l’autre et chacune ensemble par la vie.

Corps esprit dans le même bateau de vie.

Corps esprit parts égales du même être en vie.

 

Corps en vie. Corps envies.

 

Courses poursuites en folie dans la neige en pleine nuit –et de jour, aussi ! Courses idiotes au simple plaisir de courir, ni très loin ni très longtemps ; mais sentir, un instant, se gonfler et se tendre les tissus vivants, le soufflet des poumons et battre le sang.

Mi clore les yeux qu’un rayon de soleil effleure. S’abandonner allongé, tout à fait délassé, lézarder, emmagasiner la chaleur brûlante de l’été.

Laisser traîner ses mains, connaître le grain –du bois du bureau, celui de ta peau-, la température même –la tiédeur animale et le glacé douloureux du métal. Connaître la tendresse et les gestes où frémir, les caresses qui font jouir.

Jouir de l’eau froide ou brûlante sur sa peau, de la douceur de celle au goulot après l’effort.

Sourire à soi même, émerveillé chaque matin, passant devant la vitrine brillante en respirant l’odeur du pain. Reconnaître les uns à leur parfum ; sourire de les retrouver dans un foulard oublié.

Partir infiniment loin sur quelques notes sorties de rien. Monter avec elles au décuplement des sens et de l’émotion.
Et tout ça alors, esprit ou corps ? Etre vivant, intensément.

 

Laisser la vie fuser, en jouer et s’en amuser, essayer de comprendre et l’écouter. Sentir le poul palpiter après un café, la tête tourner après un verre et les poumons enfumés cracher lorsque l’effort habituel est exceptionnellement précédé de trop de tabac. Jouer des hauts et des bas.

 

Forcer parfois, sentir le cœur battre à manquer, à presque craquer –mais jamais tout à fait. Sourire avec un rien de férocité de cet enchaînement bien placé, de ces mouvements maîtrisés –les avoir, avant, longuement travaillés, corps esprit concentré, dents serrées.

Jouir de ce corps qui répond bien et partage la réussite en chemin.

 

Vivre en, son corps et le monde. Vivant, part infime et cœur pourtant d’un monde plus grand qu’on ne connaît que par le prisme et depuis soi même.

Vivre dans, connaître assez bien mais jamais tout à fait cette enveloppe et bien plus encore, de l’exceptionnel et du quotidien. Ancrage au monde, unique support. En user à loisir, y goûter le plaisir.

L’écouter ? S’écouter. Râler intérieurement parfois et même souvent de ses limites et ses manquements.
Quand le mouvement répété ne veut toujours pas se placer, quand les douleurs anciennes refusent à le quitter, quand la maladie tombe et enchaîne, prisonnier.

La santé, disait l’autre, c’est le silence du corps. Oui… Mais pas seulement encore.

Santé heureuse racontant les courbatures bien gagnées, santé de la faim qui vient gronder, de l’épuisement légitime ou du désir inassouvi.

Corps en vie. Y compris par ses besoins, ses envies.
Jamais machine et bien plus que bel outil.

Habitacle reçu et construit, dirigé en partie par l’esprit qui y est né, y a grandi et s’est formé dans ses limites aussi.

 

Aimer la vie par le corps et l’esprit. Laisser le corps dire, imposer parfois ; le pousser d'autre fois à performer et s’améliorer.
Jouir de son corps fonctionnel en vie.

Le laisser parler aussi, exprimer ses besoins, ses envies. Lui accorder du repos, des répits, le laisser décider parfois de ce qui est trop.

Le forcer un peu, tantôt, le contrer des fois –aller de temps en temps trop loin, un moment du moins, en payer parfois longtemps le prix. D’autres fois refuser et batailler un peu contre des signaux reconnus plus biaisés que vitaux, refuser d’y succomber, se contraindre à le forcer.

Jouer des équilibres. En jouer d’autant plus et mieux qu’ils vivent et se donnent à jouer non point uniquement mais bien plus simplement, plus évidents quand l’harmonie, la paix sont trouvées entre corps et esprit.

Parfois se planter, mal entendre ou ne pas savoir résister ; imposer et blesser ou se laisser déborder.

 

Etre en vie, par le corps et l'esprit, jamais machines, bien plus qu'outils.

 

Socles du même être en vie.