Dites leur que je vais bien. Que je parle parfois d’eux, qu’ils restent bien les miens ou que je suis heureux.
Dites leur qu’où je sois je reviendrai. Dites leur n’importe quoi et surtout pas le vrai.
Taisez la détresse et l’oubli, niez le malaise et l’ennui. Ne dites pas que leurs visages s’effacent de ma mémoire en plis, que le souvenir même de leur être me fuit.

Dites leur que je vais bien, que j’ai trouvé ma place enfin. Qu’elle n’est même pas très loin, que je passerai les voir un jour prochain. Dites leur une tendresse en pensées, quelques mots transférés. Dites leur ce qui plait, bien plus que ce qui est.

Niez les rides et les ennuis, taisez le vide et mes envies. Dites leur que j’ai fini par m’ancrer, que je peux les en remercier. Que je me suis posé, satisfait, que la vie est belle tout compte fait. Que la routine est bonne et l’espèce pas si conne.
Dites leur que je suis revenu, à moi-même tel qu’ils m’aiment.  Raisonnable et posé, lucide et cadré.
Ne leur dites pas ce qui est, mes errances et tous mes souhaits. Ne leur dites pas qui je suis, mon essence et sa vie.

Dites leur que je vais bien, que je n’ai besoin de rien. Que je garde d’eux des souvenirs heureux, qu’ils me manquent même un peu. Dites leur mon affection, dites tout ce qu’il est bon.
Mentez encore un peu plus fort et parlez-leur d’amour.

Ne dites rien de la colère et du chagrin des prières. Ne dites rien du dégoût, rien de l’usure de leur fou.
Ne dites rien de qui, de ce que je suis. Pourquoi souligner l’essentiel s’il doit leur être cruel ?
L’histoire a tracé des lignes qu’ils préfèrent encore ignorer. Ne leur dites pas l’indignité, la déchéance où j’ai plongé –à leur avis. C’est bien ainsi qu’ils jugeraient, s’indigneraient. S’attristeraient.

N’imposez pas le récit de mes choix, de ma vie.
Dites leur qu’elle reste auprès d’eux, que je n’ai rien trahi. Que je reste des leurs à mon plus grand bonheur. Camouflez le vrai sous le manteau des flatteurs, les faits sous les clichés les meilleurs.
Ne dites rien de l’horreur, du refus de leurs erreurs. Du refus de leurs peurs et du refus des leurres.
Quitte à faire les miennes et qu’advienne !
En accord quitte à frôler mort plus que trahi, déjà fini pour un confort de vie.

Portez leur des mots attendus, des idées convenues. Ne dites rien de ce qui compte et des choix en bout de compte.
Dites leur l’attendu, portez leur le convenu. N’envisagez pas d’évoquer ce que vous aurez vu, ce que vous aurez su.

C’est ainsi que je suis, confession de l’enfant qui a fui. C’est ainsi que je suis et bien d’autres aussi ; mais pas ainsi qu’ils sont et qu’ils me voulaient à leur façon.
Sans honte et sans fierté ; sans conte où me cacher.
Mais si c’est ainsi que je suis, ainsi que je vis, songez à la distance et l’immensité d’avec ceux là qui pensent à moi parfois, ceux là qui m’ont fait. Ne songez pas à leur imposer ma vie.

Je la porte déjà bien assez, j’en paye au quotidien le prix fracturé de la solitude et la distance en habitude.
Et pourtant je demeure et pour encore combien d’heures ? Qu’advienne tant qu’elles restent miennes et que je reste mien, tant que je ne trahis rien du réel et ne m’assois pas sur l’essentiel. A mes yeux –ceux du cœur, disait l’enfant à l’aviateur.