C'est encore un matin seul au réveil. Je ne les compte plus, ces temps-ci -ne me demandez pas non plus combien durent-ils, ces temps en questions Ne posez pas de questions.

Je ne m'en pose pas plus que ça. Je m'étire dans le lit toujours un peu froid, après tout j'y suis bien, j'y suis moi. Je me lève et vis comme je me réveille, seul entouré de ceux qui m'aiment, seul en l'absence de toi.

Bien sur ton départ a laissé ce creux, cette présence en négatif de ce qui était et n'est plus.

C'est fou, comme l'on s'habitue. A croire que l'autre est part de sa vie, incontournable et acquise à vie, sans questions, sans hésitations. A l'attendre et compter sur lui. Sur sa présence, des coups de main aux gestes tendres. La présence. Elle tue, quand elle est tue. Quand rien ne me dit plus toi, ton existence ici et là.

C'est drôle, la solitude, tu sais. Sur la fin il nous semblait pourtant qu'on ne partageait plus rien. Qu'on vivait côte à côte, plutôt qu'ensemble. Entente cordiale sans passion ni besoin. Sans flamme ni rien. Alors t'es partie ; et, je ne sais pas ce que t'en dis, mais de mon coté ce vide là, qui va de mal en pis, me semble dire encore qu'il restait quelque chose.

Tu me diras que ce n'était que l'habitude. Comme un meuble, un salon dont on change l'aspect après quelques années, nouveaux aménagements auxquels il faut s'habituer.

C'est vrai que cela fait dix ans que mes parents ont déplacé l'horloge du salon. Et pourtant, à chaque fois que j'y repasse, mes yeux se posent encore d'instinct sur le mur qu'elle habillait toutes ces années où j'y vivais.

Alors peut-être que le vide à mes cotés finira par se laisser oublier. Le silence de ne plus t'entendre, la nuit, respirer. L'immobilisme forcé d'un appartement semblable, en rentrant, à celui que j'ai laissé au matin… Peut-être que tout cela finira, très lentement, par passer.

Je me doute, tu sais. On s'en remet. On reprend de nouvelles habitudes. On remeuble le silence laissé.

Sans doute que si j'habitais encore la maison de mes parents me serais-je fait à l'horloge sur le mur d'en face.

Puisque après tout l'on s'était habitué à ce qui, à un moment donné, était nouveauté -ta présence, incarnée, vivante chaque jours à mes cotés-. On doit donc pouvoir revenir à l'état qui précédait.

Revenir à une vie sans toi. A un quotidien privé du bruit de tes pas.

Il fut, après tout, un temps où ils n'y résonnaient pas.

C'est drôle la mémoire, tu sais. Là tout de suite, je ne m'en souviens pas. C'est comme si mon corps et mon cerveau avaient occulté l'idée. L'idée d'une vie sans toi auprès de moi. Dis, ça existait ça ?

Etrange comme ces quelques mois, quelques années ont pu à ce point m'habituer. Après tout, j'ai plus vécu sans qu'avec toi. J'ai changé souvent d'appartement et ne me trompe pas de porte dans le suivant, n'y cherche pas d'instinct les aménagements du précédent.

Pourtant, ton passage achevé dans mon quotidien, je continue de me heurter, chaque matin, au drap froid de ton coté du lit. Il m'arrive encore de sourire en plein rayon de magasin, devant un article qui te ferait plaisir. Il m'arrive même encore, d'instinct, de le saisir. Avant de le reposer, plus lentement.

C'est drôle comme il me faut faire un effort conscient. Pour me dire que tu n'es plus là, que tout cela s'est achevé et ne sert à rien. C'est drôle quand même. A quel point tu étais consistante dans ma vie. A la fois dans le partout et le précis. L'eau du poisson qui ignore à quel point il baigne dedans. Et tout autant, tout aussi bien, les petits détails de notre quotidien commun.

De là à dire que je respirais grâce à toi… C'est un pas que je ne franchirai pas. Je peux dire pourtant que je suffoque un peu à présent. Il y a ces moments où je m'assois lourdement sur le fauteuil où nul autre ne vient se lover maintenant. Et cela presse, tord intérieurement. Quelque chose qui ripe et momentanément se bloque.

Quelques grains de sable dans les rouages d'un quotidien… D'un quotidien mirage.

Je ris, je vis. Je sors beaucoup en ce moment. Ils disent que cela me fait du bien. C'est vrai, sans doute. Mieux que de rester ici, où tout n'est qu'un cri. Un cri de silence, un cri d'absence. Alors tout est bon pour cesser d'y penser. Comme le disait Cabrel, moi aussi faudrait que je t'oublie à longueur de journée.

Alors je sors. Je bois, je ris, je danse. Je sais que c'est moi que j'oublie parfois. Ma foi s'il faut en passer par là…

Je m'oublie dans le bruit et les présence, dans les amis qui tapent dans le dos, dans l'obscurité prenante du cinéma. Dans les sourires des filles, parfois. J'ai encore un peu du mal avec ça. Ce n'est pas tout de suite que j'ouvrirai mes bras.

Ils me disent qu'il faudrait. Qu'il faudrait que je m'amuse et profite, qu'on emmerde Renaud et que vivre seul c'est surtout vivre libre. Que j'ai gagné le droit de faire ce que je veux.

Loin de toi, des fois je ne sais pas. Pas trop, plus trop ce que je veux. J'ai du mal à me souvenir du temps où ce n'était pas toi que je voulais. Mais vrai qu'il fut et qu'il reviendra. On s'en remet, on en revient toujours il paraît.

Je me doute, tu sais. Qu'on survit au départ, à la rupture, qu'on poursuit ou refait sa vie. Elle continue, comme on dit. Rien de plus normal, rien de plus banal au final. Quelques larmes, quelques potes et hop. De nouvelles rencontres, des projets et le retour du bonheur. Garanti en quelques mois ou quelques années, s'il faut en croire les amis ça marche mieux qu'un marabout ou au moins aussi bien. Le retour du bonheur, à défaut de l'être aimé.

On changera donc de sujet !

Je me doute, tu sais. Qu'a priori la plupart des adultes sont passés par là.

Je me demande juste parfois, dans quelle mesure cela ne contribue pas à les -à nous- tuer chaque fois un peu plus. A éteindre des feux, des certitudes éclatantes qui pavaient un chemin que l'on imaginait parcourir en se serrant la main. Chaque départ fait la route un peu plus noire. Un peu moins sure. Les certitudes et les toujours s'effritent sous l'usure. Il faut réapprendre à marcher seul. A penser et prévoir seul. On est grégaire. Chaque départ c'est un peu plus de trous noirs. Des accros dans la réalité d'un futur que l'on imaginait.

T'as emporté quelques pans en partant. Je peine, c'est vrai, à tout raccrocher. Mais j'y arriverai. Je continuerai et tu ne seras sans doute pas la dernière à partir emportant des bouts de moi.

Combien de fois tu crois qu'on peut survivre à ça ?

On restaure, on reconstruit. On renforce, aussi et c'est tant pis. Je ne tomberai plus amoureux comme je l'ai été de toi : trop échaudé, trop abîmé par ton départ arraché de moi. Je retomberai. Mais j'ai peine à croire qu'il s'agira du même état. Merde, pas deux fois ! Combien tu crois qu'on peut donner ainsi de soi ?

T'as pris beaucoup en partant. Moins, j'espère, que tout ce que l'on s'était donné. Je ne regrette pas nos années. Tu sais, je me relèverai. Cesserai de tendre le bras dans le lit froid, sourirai à ces filles là et ne rirai pas avec les amis juste pour chasser le creux, le déni. Bien sur que je vais, que j'irai.

Repeuplerai l'absence.