Récits vagants

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Imprécis d'idées

La tension qui arrime au plus loin

La tension qui maintient. Encore. Toujours ou presque. Et qui contient. A contrecœur, parfois tout aussi bien. Ni cris ni larmes. Ça ne lâche plus, ou plus vraiment. Jamais pleinement.


Alors on tient. On se tient. On a passé des années à plier. A ployer. Ployer sous la peine et le chagrin, pencher, verser pour essayer d’alléger.

Jusqu’à ce que le pli risque de lâcher. Déchirer. Jusqu’à risquer la cassure, par usure.


Il faut de la sérénité pour ployer. Des charnières ou la souplesse inhérente à certaines matières. Laisser la vague passer et puis se retirer.
Sans ça. Sans ça on croit ployer, on croit plier se faire emporter, momentané, ne pas résister et revenir séché, intact à peine lavé.

On ne fait, en fait, que vaciller. Vaciller. Renverser un peu du contenant toujours trop plein, trop plein de larmes et de chagrins. On croit vider, on croit siphonner pour de vrai quand on ne fait que l’effleurer, secouer le plein de larmes, s’éclabousser sans rien vider.

On s’épuise, sans s’alléger.


Alors pour prévenir la cassure, on endurcit, on emplâtre la pliure. Et ça ne plie plus, certes, mais ça ne pliait déjà pas ou pas bien, c’était foireux de toute façon, dès le début alors à quoi bon.

Et où cela devait plier, où cela vacillait, le plâtre apporte la rigidité. Scelle la capacité, même foireuse, à pencher et s’éclabousser. Plus rien ne paraît, plus rien d’exprimé.


La vague vient toujours, et traverse. Et se brise, ou presque, comme sur un mur. Elle emplit, passe et rien ne plie.

Rien ne casse, non plus. L’attelle est solide et va puiser loin, ce n’est pas un cache misère à la tempête intérieure. Elle s’est faite fondation, presque, circonvenant les sentiments dans une froide construction.

C’est un bunker, qui résiste aux vagues ordinaires. Et on les connaît, ces vagues, on a eu des années pour les mesurer, les jauger. Construire de quoi tenir sans fléchir.

Et, tout seul bien au cœur, y mourir.


La vague qui vient n’apporte pas le ploiement du roseau sous le vent. Plutôt chêne ou ciment, arque une tension qui tire et tient bon. Les arbres tombent, ainsi que les bâtiments. C’est que l’on s’est fait montagne alors ou bunker, tout d’une dureté tellement ancrée que la vague n’est plus vraiment capable de s’y faire remarquer.

La vague ne fait plus ployer. Mais arque une tension qui tire et tient bon. Durcit le tout, isole mais après tout.


La tristesse insondable d’alors, la noyade éplorée de larmes et de hoquets, ballottée sans armes et sans verser, secouée à fuir et s’éclabousser. Elles ont fait place à la tension, dure et sans concession.

Un peu d’irritation, le durcissement qui donne une tonalité agacée.


Moi du dedans, j’observe à distance des sentiments, des ressentis auxquels je ne suis plus vraiment confrontée. Bien à l’abri dans un bunker construit sans grand avis et dont j’ignore où sont les clés.


C’est mieux, c’est pire, je ne saurais pas dire. Plus de risque de mourir noyé et plus tant à tirer sur des amarres fatiguées. Plus de risque de vouloir lâcher, les amarres et la volonté, pour s’emporter. Pour vaciller jusqu’à tomber et se briser. Quand on ne sait pas vraiment ployer, il faudrait briser pour vider. Pas idéal, avouez.


Mais au dedans. Au dedans, on est au sec assurément. Ni larmes ni tourments. Et si seul, oh c’est navrant. Tout tient, certes. Et n’y frémit plus rien. Au dedans, on voit de loin passer la vague et son courant. Rien ne frémit, rien ne bouge évidemment mais à quel prix. Tout se tend. A n’en plus dormir la nuit. On veille et pour rien, car bien sur tout tient. On veille sans savoir, juste là pour tenir.

C’est une prison pour son bien bâtie. Un donjon qu’on voudrait équiper d’un pont-levis, qu’on voudrait ouvrir aux quatre vents, les sentir à nouveau quitte à en frémir. Et comme on l’ignorait en pliant, comme on ignorait, on ignore ici tout autant comment, combien de temps peut-on tenir.

A défaut de ployer et pour ne pas briser, on a scellé. Et, jamais vraiment vidé, plus jamais renversé, l’intérieur y croupit, seul isolé.

Transports

Il en connaissait par cœur les bruits et les étapes, la mise en branle des moteurs d’où le quai s’échappe. Le bourdonnement sourd qui deviendrait lentement ce roulement caractéristique, enivrant.

Le train l’évadait. L’évadait dès lors qu’il l’emportait loin d’un domicile où il s’ennuyait, guettant les étoiles à la fenêtre. Lui permettait de rejoindre amis et famille, de disjoindre une vie où piétiner l’insupportait.

Mais l’évadait même alors qu’il rentrait, qu’il s’arrachait aux siens, désespérait parfois de les quitter encore.

 

L’enivrement du roulement, l’évasion du mouvement n’étaient liés ni au départ et ni à l’arrivée, ni à ceux qu’il quittait ni à ce qu’il gagnait.

Le bercement était en soi, pour soi. Pure soie, pur sang, toute la douceur et tout le vivant dans l’immédiat et dans l’instant.

 

Le regard à la fenêtre il s’abreuvait des paysages qui défilaient, à travers lesquels il filait. Un sourire instinctif étirait ses lèvres, plissait ses yeux d’un plaisir intense et peu compris de ses voisins de siège.

Lors d’un trajet, il rayonnait.

Evidemment, peu comprenaient. Les voyageurs qui le remarquaient imaginaient une heureuse nouvelle à partager, un amour qu’il irait retrouver.

Evidemment, cela contribuait.

Mais il brûlait encore de ce plaisir alors même qu’il venait de l’embrasser, la saluer sur le quai d’où il partait.

Et le jour où il en avait quitté rompu tristement, même alors goûtait-il encore le mouvement. Oh, rayonnait moins fort et pleurait à la mort. Mais trouvait encore de la joie, du réconfort dans le défilement du monde en avant de soi.

 

 

Transports. Trains, bus, avions, vélos et pieds tant qu’ils n’impliquaient pas de rentrer dans la journée, tant qu’ils offraient quelque part où aller.

 

Transports. Bonheur étrange et léger, joie délicate et tant d’intensité ! Ravissement du mouvement qui l’emportait.

 

 

Evidemment peu comprenaient. Imaginaient d’heureuses nouvelles ou bien l’aimée à l’arrivée. L’aimée, d’ailleurs, l’aimée même n’avait jamais tout à fait compris et se vexait de l’apprendre souriant tandis qu’il était parti. Elle eu voulu, sans doute, que ses yeux ne brillent qu’en tristes gouttes et ne s’éclairent pas de ces fragments d’un bonheur à la noix loin de ses bras.

 

Peu comprenaient. Quelques uns pouvaient. Les accros de la route et les amants de la bohème, les clodos façon hobo et les nomades à long terme. Les marins au long cours et quelques coureurs de chemins.

 

Il n’était pas question d’aventure ou de danger et le mouvement s’ancrait bien dans une vie plutôt rangée.

Il n’était pas plus question de liberté, que certains revendiquaient et d’autres lui reprochaient de surjouer.

Quelle liberté pouvait-il trouver à quitter les siens pour gagner un domicile et son gagne-pain quotidien ? A prendre un train pour revenir, à prendre encore et trop souvent les mêmes transports, à en faire un quotidien aussi limité, aussi restreint que les parcs où piétinaient ses foulées ? Marcher même encore au même endroit, sur les mêmes trottoirs et les mêmes hectares restait aussi une façon de bouger, à défaut de vraiment voyager.

 

Il ne revendiquait pas d’idées, ne parlait pas de liberté.

Dans ces instants, peu importait d’où il venait, où il allait qu’il parte loin ou reste en fait.

 

 

Il savait bien que cette envolée d’un instant ne soignait rien, n’en espérait pas tant. Il savait qu’à l’arrêt, lorsque l’on tournait les clés ou que l’on poussait la porte, alors que la machine soufflait ou qu’il ôtait ses bottes…

 

Il savait que si le bonheur était d’ailleurs il reviendrait. Ainsi que les malheurs et les jours de terreur il avait beau noyer dans la lumière et le mouvement ses vieilles peurs, vieilles rancoeurs, cela n’était que l’affaire d’un instant.

A l’arrêt revenait toute la vie, tout le temps.

Et il y avait toujours des arrêts ; d’ailleurs un mouvement perpétuel serait une forme d’immobilité à son tour. Ainsi la vie revenait chaque jour.

 

Par ailleurs il n’était jamais question de fuite ou jamais tout à fait.

Il ne fuyait pas, moins encore alors qu’il rejoignait toujours, un proche ou un emploi, privilège et entraves d’une vie bien rangée devant soi.

Il ne dérivait pas, ne quittait jamais tout à fait. Il revenait, sans cesse revenait.

 

La peine, lorsqu’il en avait, ne s’effaçait pas ni les siens ne s’oubliaient –pas plus qu’ils ne se laissaient d’ailleurs oublier.

La peine et le chagrin restaient, revenaient toujours à la fin.

 

 

Mais entre temps.

Dans l’immédiat et dans l’instant, loin des projets et des regrets, loin des questions et des tensions.

Entre temps, dans l’immédiat et dans l’instant de ce simple défilement, il goûtait bien les pures décharges d’un bonheur brûlant, sentiment pénétrant qu’il sentait pulser dans tout son corps, oubliant et s’enfonçant dans le réel en même temps.

Il y avait le départ, il y aurait l’arrivée, parfois même tout cela serait vite achevé. Mais entre temps, dans l’immédiat et dans l’instant, il y aurait cet embrasement, ce bonheur rayonnant.

 

Dans l’immédiat et dans l’instant se laissait-il emporter, submerger, emplir du bonheur et vider du reste. Vague d’un bien-être enivrant qui, l’inondant, balayait certes pour un temps mais combien diligemment, tout le quotidien et ses maux et ses biens.

Ne laissant, l’espace d’un temps, que les sensations pures d’un transport éclatant.  

 

Corps en vie

Il est bien sur question de corps. Corps enjeu, corps en jeux.
Corps sien accepté comme part de soi, corps des autres en qui se reconnaître ou pas, reconnaître un et des partis pris de vie. Dans son état, dans ses usages aussi. Réceptacle des sens et de l’esprit, interface au monde et lieu, état de vie.

Vivre dans plus que vivre avec et surtout pas contre ou en dépit de. Contre certains défauts et manquements, en dépit de ce qui peut y faire défaut évidemment. Mais vivre dans, vivre par ce corps aussi qui modèle en partie l’esprit –et réciproquement.

 

Mens sana in corpore sano disaient-ils. Vaste programme utopique en chacun de ces deux objectifs. Mais si ce qui est beau n’est pas toujours bon, n’en déplaise à Platon, il est vrai qu’en partie le corps se fait image et présentoir de l’esprit –bien sur en partie.

Il y a ce qui est donné, avec ses limites et ses cahots, il y a ce qu’on en fait, ce qu’on trouve à en faire et même si chacun ne part pas du même point, afin de présenter son être au monde.

Bien sur en partie. Mais quelque part en effet, dis moi comment tu uses et traites ce corps en vie et je te dirais qui tu es. Du moins une partie de qui es-tu ? En tous cas de qui tu sembles être au regard externe.
Peut-être pas tant, certainement pas tout.

 

Mais le corps tout de même, interface et présentation de l’esprit au monde, premier contact avec celui-ci. Alors, sculpté et même paré tant par la volonté que la génétique et le vécu, les injonctions et les hasards de vie, c’est aussi un peu, beaucoup de soi que l’on y lit.

L’inné et l’acquis. Les dons gratuits et le chèrement appris. S’y lisent et passent encore, passent en corps et vivent avec. Vivent en. Etre vivant.

 

On ne se défait jamais d’un tel ancrage et support. Et puis quoi encore ?

L’esprit pur n’est pas, pas même dans les recoins de sa tête. Sculpté, animé et porté par les aléas d’une vie qui n’est pas que spirituelle.

Et l’esprit même est encore celui qui goûte et savoure ô combien de messages et d’informations portés, permis et médiatisés par le corps et les sens.

Corps coordonné à l’esprit.

Harmonie ? Pas toujours évidemment. Même pas question seulement.

Deux facettes d’un même être, inséparables et réciproquement construites, l’une par l’autre et chacune ensemble par la vie.

Corps esprit dans le même bateau de vie.

Corps esprit parts égales du même être en vie.

 

Corps en vie. Corps envies.

 

Courses poursuites en folie dans la neige en pleine nuit –et de jour, aussi ! Courses idiotes au simple plaisir de courir, ni très loin ni très longtemps ; mais sentir, un instant, se gonfler et se tendre les tissus vivants, le soufflet des poumons et battre le sang.

Mi clore les yeux qu’un rayon de soleil effleure. S’abandonner allongé, tout à fait délassé, lézarder, emmagasiner la chaleur brûlante de l’été.

Laisser traîner ses mains, connaître le grain –du bois du bureau, celui de ta peau-, la température même –la tiédeur animale et le glacé douloureux du métal. Connaître la tendresse et les gestes où frémir, les caresses qui font jouir.

Jouir de l’eau froide ou brûlante sur sa peau, de la douceur de celle au goulot après l’effort.

Sourire à soi même, émerveillé chaque matin, passant devant la vitrine brillante en respirant l’odeur du pain. Reconnaître les uns à leur parfum ; sourire de les retrouver dans un foulard oublié.

Partir infiniment loin sur quelques notes sorties de rien. Monter avec elles au décuplement des sens et de l’émotion.
Et tout ça alors, esprit ou corps ? Etre vivant, intensément.

 

Laisser la vie fuser, en jouer et s’en amuser, essayer de comprendre et l’écouter. Sentir le poul palpiter après un café, la tête tourner après un verre et les poumons enfumés cracher lorsque l’effort habituel est exceptionnellement précédé de trop de tabac. Jouer des hauts et des bas.

 

Forcer parfois, sentir le cœur battre à manquer, à presque craquer –mais jamais tout à fait. Sourire avec un rien de férocité de cet enchaînement bien placé, de ces mouvements maîtrisés –les avoir, avant, longuement travaillés, corps esprit concentré, dents serrées.

Jouir de ce corps qui répond bien et partage la réussite en chemin.

 

Vivre en, son corps et le monde. Vivant, part infime et cœur pourtant d’un monde plus grand qu’on ne connaît que par le prisme et depuis soi même.

Vivre dans, connaître assez bien mais jamais tout à fait cette enveloppe et bien plus encore, de l’exceptionnel et du quotidien. Ancrage au monde, unique support. En user à loisir, y goûter le plaisir.

L’écouter ? S’écouter. Râler intérieurement parfois et même souvent de ses limites et ses manquements.
Quand le mouvement répété ne veut toujours pas se placer, quand les douleurs anciennes refusent à le quitter, quand la maladie tombe et enchaîne, prisonnier.

La santé, disait l’autre, c’est le silence du corps. Oui… Mais pas seulement encore.

Santé heureuse racontant les courbatures bien gagnées, santé de la faim qui vient gronder, de l’épuisement légitime ou du désir inassouvi.

Corps en vie. Y compris par ses besoins, ses envies.
Jamais machine et bien plus que bel outil.

Habitacle reçu et construit, dirigé en partie par l’esprit qui y est né, y a grandi et s’est formé dans ses limites aussi.

 

Aimer la vie par le corps et l’esprit. Laisser le corps dire, imposer parfois ; le pousser d'autre fois à performer et s’améliorer.
Jouir de son corps fonctionnel en vie.

Le laisser parler aussi, exprimer ses besoins, ses envies. Lui accorder du repos, des répits, le laisser décider parfois de ce qui est trop.

Le forcer un peu, tantôt, le contrer des fois –aller de temps en temps trop loin, un moment du moins, en payer parfois longtemps le prix. D’autres fois refuser et batailler un peu contre des signaux reconnus plus biaisés que vitaux, refuser d’y succomber, se contraindre à le forcer.

Jouer des équilibres. En jouer d’autant plus et mieux qu’ils vivent et se donnent à jouer non point uniquement mais bien plus simplement, plus évidents quand l’harmonie, la paix sont trouvées entre corps et esprit.

Parfois se planter, mal entendre ou ne pas savoir résister ; imposer et blesser ou se laisser déborder.

 

Etre en vie, par le corps et l'esprit, jamais machines, bien plus qu'outils.

 

Socles du même être en vie.

Aimer ou tomber

Il est bien évidemment à noter que les paroles ici tenues n'engagent toujours que leur auteur.

Bien sur qu’il est beau d’aimer. L’attachement et la complicité, les attentes et les compromis, la tendresse et la jalousie, la volonté de présence et la capacité à se détacher.
Mais combien différent en est le sentiment amoureux !

Aimer c’est vouloir l’autre dans sa vie, envisager du temps avec lui, l’apprécier, aussi. C’est alimenter par l’autre un aimable feu intérieur et ronronnant.
Etre amoureux c’est espérer un mot, un regard, c’est se consumer, se détruire aussi, le savoir et y plonger volontiers.
Aimer est un poêle à bois. Tomber amoureux c’est avoir allumé un feu de joie.

Destructeur, insensé, ravageur. Mais lumineux, vif et puissant.
Où aimer est plus sain, plus serein, capable de construire et de produire –aimer, d’ailleurs, se construit dans la durée. Aimer permet de rayonner sereinement.
Tomber amoureux procède d’un embrasement spontané, éclaire par embrasement, haut et clair mais dévorant.

Aimer se construit dans la réciprocité.
Tomber amoureux détruit sans réciprocité.

Aimer commence parfois par une attirance, une sympathie. Puis se consolide et se construit et avec lui l’hôte et l’autre si l’amour est partagé. En cas contraire la page peut-être tournée, sans l’avoir même forcément remarqué, parfois amère mais toujours empreinte de légèreté, de liberté.
Tomber amoureux c’est être propulsé au plus haut, ouvrir les yeux au sommet sans rien avoir compris du sentier emprunté. Et s’écorcher en essayant de s’accrocher. Y reste-t-on au sommet ? Peut-être si le sentiment, l’embrasement est partagé. Ce cas-là, existe-t-il ?
Lorsque le cas n’y est pas… C’est une tempête où s’accrocher sans rien vraiment pouvoir diriger. Saisir une bouée, laisser passer et traverser une mer désespérée où l’on n’aperçoit ni même n’imagine aucune terre à venir.

Aimer se fait, volontairement, volontiers et, partagé, vous fait.
Tomber amoureux vous embarque à contre gré et, parfois, vous défait.
On peut apprendre à aimer. On prend conscience d’être tombé.

Aimer permet d’envisager, de se projeter. De proposer des projets communs, sans crainte et sans nécessité. Aimer c’est la volonté de poursuivre.
C’est avoir l’autre comme un bonus, un bénéfice avec qui s’améliorer, construire.
Il y a des envies et de la raison dans l’amour. Il y a de l'attirance évidemment, des résonances et du conciliant, tout un état qui s'apprend.

Tomber amoureux ne permet que de se projeter pour éviter de s’écraser. Les projets y sont avant tout soutenus par la crainte d’achever. Tomber amoureux c’est tenter de survivre.
C’est avoir l’autre comme un besoin, un maléfice, sans qui l’on ne peut que se détruire.
Il y a du besoin dans l’être amoureux. Il y a de la chimie sans doute ici, des échos profondes et remuants, tout un état qui (sur)prend.


Il est possible d’aimer sans être amoureux, du moins pas amoureux de cette façon. C’est raisonnable, grave et léger mais avant tout viable. Il y a du choix encore et de la liberté.
Il est nécessaire d’aimer lorsque l’on est amoureux mais cette faculté passe au second plan, loin derrière l’immédiat de l’embrasement. C’est loin d’être tenable, c'est destructeur et déraisonnable. Il s’agit d’entraves et n’est plus vraiment question de volonté. Tomber c'est l’angoisse de perdre. De perdre même les miettes rancies seules obtenues de la pièce espérée, mais tout de même et même seulement cela craindre encore de le perdre.

Aimer sans retour est loin d’être agréable, confortable. L’égo en prend un coup, façon douche froide. Mais s’il reste des cendres à balayer, une fois séchées, du moins les braises sont-elles éteintes. Au pire restera-t-il de loin en loin quelques traces de brûlé, de fumée. Mais le foyer est bientôt de nouveau prêt à l’usage.

Tomber amoureux sans retour n’est même plus question de confort. Il n’y a pas de confort dans la chute, que l’inconfort et les doutes, les angoisses et de l’espoir bien noir. L’autre peut souffler le froid, envoyer des seaux d’eau glacée ceux-là ne l’arrêteront pas. L’amoureux souffrira, sans que ne veuille s’éteindre pour ça la flamme qui l’a transmué, d’être humain à être d’amour en vain, et changé l’autre être humain en obsession même pour rien. Il n’arrêtera pas vraiment d’espérer.

Il n’est nul besoin d’apprendre à vivre avec un refus d’aimer. L’on grimace un peu sur le coup, panse la plaie et reprend sa route, elle guérira bien malgré tout et n’empêche pas de vivre du tout. Parfois même l’on finit par oublier l’autre qui fut un moment la cible de telles pensées. Si du temps peut-être nécessaire pour tourner la page au moins l’hôte en est-il volontaire, comprenant bien qu’il n’y a rien à en faire.
L’on apprend à vivre avec un refus, une impossibilité imposée à l’amoureux. L’on n’oublie pas, la flamme reste là. L’habitacle se vitrifie lentement autour, cristallisant le souvenir et préservant, à force de temps, le porteur qui peut parfois trouver un apaisement dans l’éloignement –un apaisement bien lent, long à venir et faire effet.
D’autant plus long à venir qu’il est un masochisme dans cet amour là, l’amoureux peut raisonnablement vouloir cesser de l’être, pour cesser de souffrir en vain, pour tourner la page en bien… Tout en lui se refuse à la défaite. L’amoureux est mauvais joueur, refuse de n’avoir pas ce qu’il estime lui revenir de droit, de droit car de besoin -ou d'envie ? Mais d'envie presque à la folie.
Le temps ici n’efface rien mais arrondit les coins. Permet de loger moins douloureusement l’éclat en soi, d’en venir même à le chérir bien que jamais sans amertume ou sans arrière pensée. Le temps d’ailleurs embellit les souvenirs, y compris ceux de la douleur. L’on en vient à chérir d’avoir vécu tout en ne souhaitant, surtout pas –mais désirant tout de même à part soi, de cette part irréductible irraisonnable qui espère encore-, revivre cette expérience insensée dès lors qu’elle n’est pas partagée