Récits vagants

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Instantanés

Bâtir et rester

Moi je ne sais pas grand-chose alors bien sur des fois ça ne va pas. Entre les choix, l’âge et les gravats. Les croisements mal indiquées, les sentiers mal balisés et ceux qui font mal aux pieds. C’est un peu galère de s’y retrouver parfois.

Et je ne crois pas, d’ailleurs, y être arrivée. Il n’y a pas de voie royale, elle n’est même pas pavée. Au point où l’on en est je prendrais même un sentier.

On parle de construire. Prévoir et planifier, envisager, épargner, empiler pierre après pierre et bâtir une vie solide et fournie. Je ne suis pas très douée en BTP. Construire et durer, figer et rester. C’est effrayant et un peu embêtant d’avouer qu’on ne sait pas trop comment ça devrait être fait.

Bâtir. Je suis plutôt pas mauvaise à monter des tentes des inconnus m’ont applaudis une fois pour ma dextérité à en replier.

Rester. L’automne revient déjà et l’appel de l’horizon n’aura même pas cessé cette année.

Je ne sais pas grand-chose de tout ça. J’accueille avec joie les nouvelles et les cartons, trouve des présents et prévoie des jours à bloquer, l’achat de quelques robes jolies pour les églises et les mairies. J’essaie de ne pas frémir en annonçant venir accompagnée, comme un peu stressée de l’énormité -ça semble beaucoup présager mais on a dit qu’on essayait de durer.

J’apprends, petit à petit. Je fais des trucs et d’autres différents et j’essaie que certains durent un peu plus longtemps.

J’écoute un ami parler des prochaines années, des achats immobiliers aux voyages avec sa fiancée et je suis fascinée par la certitude qui irradie de lui. C’est très beau.

J’observe une amie vieillir et mûrir avec sa vie pleine et solide. Bien sur que je l’envie, sans rancoeur ni douleur mais avec l’émerveillement de constater quelque chose étrangement hors de ma portée. Comme la physique quantique, le piano ou la mécanique auto -vastes sont les catégories hors de ma portée ! C’est pas grave et s’il faut je pourrai me forcer -j’ai bien réussi à vidanger.

Même s’il faut le dire, bâtir ça semble hors de portée. Amasser et construire.

J’arpente un peu la vie du bout des pieds. Qui se cognent parfois dans des coins de tables pas du tout métaphysiques. Pas toujours assurée, malgré de sacrées lignes de vie homologuées.

Rien construit mais traversé, rien bâti mais ramassé.

Construire et semer, ce sont des routes et des miettes de pain.

Poignée de main

Aujourd’hui j’ai souri à un homme assis au pied de a boulangerie, qui a ensuite tenu à me serrer la main avant de s’enquérir de mes fonds. Une poignée à deux mains, sous les regards perplexes de quelques passants. Et ceux, absents, de tous ceux qui passaient sans voir. D’ailleurs ils étaient beaucoup plus nombreux. C’est marrant j’ai pensé, juste après, en reprenant mon trajet. L’invisibilité d’un acte anodin, relevé par les deux filles qui sortaient du magasin. Elles ont un peu reculé. Peut-être que la plupart du temps on ne voit pas ce qui se passe un peu plus bas que soi -et la sensation très nette de me pencher, tandis que lui se relevait à moitié. Comme si l’on ne voyait rien, sauf peut-être les crottes de chien.

Novembre hexagonal

Automne. Septembre pour l’évasion, novembre pour la dépression. Les grues sont parties, ont laissé le froid et la grisaille aux avertis. Avertis, familiers que nous sommes de ce mois au climat répété chaque année.

Novembre est un mois d’hibernation. Un mois de froid, de noirceur et de plat.


Le changement d’heure annonce déjà la couleur, ou son absence à venir. Quel que soit le sens pour lequel on prétend tourner les aiguilles, on sait bien que la nuit s’allonge et que la lumière s’esquive. Alors on en rajoute un peu, recule le temps pour hâter volontairement l’irruption de la nuit.

La fin d’automne est une forme de ralenti. Un appel au repli.

Je rumine un peu, accusant comme un coup de vieux. Difficile d’y échapper. Septembre orne de couleurs la verdure, novembre la dénude sans pitié, ne laissant qu’un peu de pourriture et branches décharnées.


Alors se courber un peu, plier le corps et fermer les yeux. Novembre se terminera. Décembre est presque là, trépignant au coin, visible de plus en plus loin au rythme où les lampadaires s’éclairent de couleurs et les publicités d’enfants surexcités. Ca rendrait presque rêveur.

Mais l’on a beau essayer, publier chaque année plus tôt les catalogues de jouets, parer les villes et les illuminer, on a beau essayer c’est perdu d’avance, même truqué.

Novembre n’est pas le mois des festivités. Novembre est celui du froid, de la tristesse et de l’humidité.


Parlez-moi de festivités ! Novembre s’ouvre avec les morts. C’était festif ou le pouvait la veille encore ; mais novembre ouvre avec les morts. Tous, d’abord. Puis ceux d’une guerre qui n’eut même pas l’honneur d’être la dernière.

Novembre est le mois des morts et de l’obscurité, du froid qui mord et des tristesses répétées.


Novembre illumine tout ce qui a renoncé.


Les feuilles ont grandi, rougi, doré ; elles tombent en novembre et vont pourrir sur le pavé.

Le soleil a chauffé, doré, même cuit ; il se voile en novembre sous la pluie. Renonce à paraître à la journée, ou s’il le fait c’est quasi sans effet. Froideur et obscurité pour attributs, pour objets.


Lumière et chaleur, vie même et ses honneurs, novembre y a renoncé, incarne la mort et ses effets.

Je répugne à sortir, préférant me blottir au creux noir et douillet d’un lit d’où je n’aime pas déloger.

Le froid s’immisce et mord, porté par l’humidité qui sait bien s’infiltrer. Le dos, les genoux racontent à qui le voudrait ces changements de temps. Bloquent, lancent, enserrent le corps et l’esprit dans ces vieilles douleurs qui toujours reviennent avec le froid et la pluie.

On serre les dents, on essaie de voir devant. Pas simple, dans l’obscurité dès l’heure du goûter, le jour dernier à se lever, premier à se coucher.

On se demande en novembre si même émerger vaut la peine endurée. Présente excuses d’avance pour les pannes d’oreiller.

Quel horizon, quelles promesses pour nous lever ? Demain paraît trop loin. L’hiver à venir, une éternité. La chaleur et la vie, d’antiques oubliées. Les souvenirs même de bonheur et chaleur, d’espoir et vigueur semblent s’estomper.


Novembre est un mois de grisaille et de froid.
Les vieilles bêtes, raides, se couchent et ne se relèvent pas.

Septembre

Le jour s’endort et les envies s’éveillent. Vienne la nuit, je me meure. Tombent les feuilles, sonne l'heure. L’automne apporte son étirement, un allongement des ombres et de l’être, tendu au firmament. Il y a l’horizon sous les nuages et le vent. L’humidité transperce et lui permet de passer. D’insuffler au plus près, où le froid vient déjà s’immiscer d’après l’été. Désirs d’extériorité. La peau hérissée, c’est le froid dont on n’est pas encore couvert, c’est le toucher exacerbé qui gonfle et paraît tout fondre et traverser. La peau dit son envie de se frotter à d’autres ailleurs, d’autres bises et d’autres chaleurs. L’annonce de l’automne est une envie d’ailleurs. Le soleil a pâli et semblerait rieur, ou malade. Difficile à dire de si loin. L’annonce de l’automne est un appel au loin. Le bruit du train, familier et lointain, qui fait vibrer différemment. Rappelant moins sa présence que son sens. Un écho, qui dit la distance qu’il invite à parcourir. En automne, le monde rappelle son immensité. Rappelle à son infinité. Appelle à ses capacités. L’annonce de l’automne est un appel de fin, une respiration dans la partition. On respirera de nouveau. Ailleurs. Plus loin. C’est un cycle achevé, qui appelle à déplacer. Non pas renouveler. Une roue qui a tourné, non immobilisée, pas tout à fait mais déclinante désormais. Cela passera. Mais l’automne soulève chaque année l’immobilité. Le renouveau qui n’a pas été. Le cycle recommencé. Il faut sans doute s’en réjouir ou s’en contenter. Ou le fuir et toujours recommencer. Il faut sans doute tenir, aimer vivre et rester. Mais l’automne appelle à s’en rappeler. L’automne est une question posée. L’été va de soi, écrase de lumière les questions derrière. L’été écrase la veilleuse sous les rayons dardés. Laisse peu de place à l’ailleurs et l’immensité. L’été est une immédiateté, une intensité. L’automne assombrit les jours et rallume en leur coeur. L’automne est une veilleuse allumée. L’automne est, plutôt, l’obscurité qui la permet. Moins d’exister que de briller. Eteint la luminosité, laisse les ombres s’exprimer. Et la veilleuse les façonner, les animer. L’automne endort le jour et réveille l’envie. Parfois très loin, enfouie l’envie, l’envie en vie c’est certain. Elle s’étire au crépuscule de l’été. Avec l’été meurt une certaine légèreté, qui rie d'irréflexion. Pluies et potirons, je demeure. L’automne a la lourdeur de la terre mouillée, des ciels plombés. Qui attire au sol et lève les idées. Enlève les idées. Les fait s’élever, cerf-volant de pensées. Les migrateurs déjà lissent leur plumes et savent bien. Que l’automne est saison de s’en aller. Les pensées les suivent enlacées, fils d’araignées au vent jetés.

Automne. L’esprit tend des échelles aux hirondelles.

L'appel en veilleuse

Reviennent l’automne et le froid. Les grues volent bas. Tristesse étrange à nouveau qui m’envahit avec une férocité poignante. Oh poitrine serrée ! Incertitudes d’où aller.

Nez au vent, humant l’horizon, l’espace qui s’infiltre sous la narine au-delà même des pupilles et trouve sa voie jusqu’à l’inconscient. Trouve sa voix jusqu’à l’intérieur où résonnent les émois.

Explosion, implosion, hors de soi. Sans colère, non, mais perdition.

Impression étrange d’un dehors qui tirerait, aspirerait, ferait pression sur le dedans. Sentiment de n’avoir que la peau fine, peinant à contenir ce qui explose en dessous, voudrait s’échapper par tous les pores, toutes les issues. Noeud d’issues, plus terrible encore que leur absence qui m’a toujours été momentanée. Noeud d’issues. Dire, faire, parler. Rire, taire, pleurer. Tout déborde et tourbillonne, s’enchaîne et se fond, vrille sans jamais prendre forme.

Sentiment d’étrangeté, d’étrangéité. Eloignement du réel et de l’instant. Voix qui appelle, juste au-delà du tympan.


Revoici l’automne et l’appel. Les jours s’éteignent et marquent une veilleuse en l’esprit, qui brille faiblement, mais solidement. La veilleuse, qui ne brille pas dans l’éclat et le bruit. Qui s'éclipse au zénith et ne cesse pourtant jamais de briller. Que viennent l'heure seule et l'heure sombre, que vienne l'automne et la voilà qui irradie, rappelle à soi. Celle qui tient, présente en tous temps. Qui se rappelle à l’esprit humant le vent. La veilleuse. Celle qui tient. Qui dit le temps. Qui dit l’espace en le disant. Qui appelle et qui tire, sans jamais se définir.

L’ailleurs. Le mouvement. La fuite en avant. A l’automne, je reconnais dans mes éternels désirs de départs une part de fuite informulée. Tout plutôt que rester !

L’ailleurs pour y penser, ne pas avoir à se trouver. L’ailleurs sans y rester, l’ailleurs pour d’être plus où l’on est, d’où l’on est. L’ailleurs est un suspens permanent. L’ailleurs est en suspend permanent. Un bond d’où l’on sait que l’on retombera, un pays où l’on reviendra. Mais pas maintenant. Un bond fuite en avant pour n’être pas tant que ne plus être où l’on était. Qui l’on était. Ce que l’on. Quitter la ville ou le pays comme un habit et comme une envie. Radical et urgent. Jamais permanent.

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