On s'éloigne un peu des héros de légendes, quoique ces femmes à potions en soient de grandes. Heureusement, il est toujours question de vagants... Qui de temps à autre se fixent pour un temps.

Ce que je peux faire ? Bien des choses mon beau, n'avez-vous donc point de la viande à recoudre ? Non par contre je laisse les soins de l'âme aux autres, qu'ils soient prêtres des dieux ou de la chair. De mes mains je répare, je rapetasse vos soldats, les remet sur pieds pour un nouveau combat.

Patriote ? Je me fous bien de vos coups d'éclat, j'en connais par trop bien les dégats. Hé, beau prince, as-tu déjà parcouru les campagne vidées, quand les paysans se terrent et les soldats s'égarent ? Non, j'en suis certaine, tu ne connais que les salons et les mondaines sur qui l'uniforme fait toujours son effet.

Pardonne mon peu d'entrain ; la loyauté des vagants à la politique est au moins fluctuante et ne mérite certes pas d’y laisser sa peau. Sur pourtant que tu trouveras beaucoup des miens sous la bannière, qui promet au moins solde et cantinière.

Et comme eux en ce moment j'ai faim, tu ne sais peut-être pas mais les récoltes sont mauvaises -il faut dire qu'avoir brûlé convient assez peu au blé, parles en à tes soldats ils sauront te dire qui a fait ça.

J'ai faim et puis je compte sur vos rangs pour m'aider à oublier d'autres tourments. Car je sais comment s'organisent les lignes à l'arrière, entre civils et vivandières. Seul compte pour ceux qui ne combattent pas l’organisation quotidienne de ce microcosme. Les soldats sont nos clients et nos patients, autour de qui s'organisent un quotidien mouvant, éphémère. Bien sur on y voit des horreurs, mais le sang qu’on a sur les mains en y entrant est vite couvert par celui des autres. Et les journées sont assez chargées, les veillées assez agitées pour éloigner des nuits vos propres cauchemars, quitte à ce qu'ils soient remplacés plus tard. En attendant seul compte le présent.

Alors non je n'irai pas au combat. Mais tu sais tout de même en quel état reviennent ceux que tu y envoies. Il y a dans une armée nombre de postes pour les civils de tous poils ; les vivandiers manquent souvent de bras, et des femmes il y en a.

Oui je suis sorcière si c'est ainsi que tu appelles les femmes qui soignent et calment, sans évoquer les dieux et sans ouvrir les jambes. Donne moi un chaudron et de l'eau, tu verras tout ce que je peux faire des soldats.

Je connais tes infirmiers : une clique de prêtres pour moitié, qui savent confesser et se lamenter, une bande de manieurs d'aiguilles de l'autre qui charcutent à vif et font hurler. Crois-moi, je peux aider.

Ainsi fut fait. J’ai préparé du pavot, des opiacés, des barbituriques par chaudrons, administrés en louches aux blessés qui perdaient un peu conscience le temps que se penchent sur eux des rabibocheurs lucides sur leur utilité. Bons dieux certains de ces gars n’avaient plus vraiment forme humaine. Ce que j’ai pu dégobiller certains jours.

Mes herbes étaient bien maniées et pour anesthésier c'était ça ou les alcools ; question d’habitude je suppose, il apparaissait que les soldats coûtent plus cher à soûler qu’à droguer.

J’ai allongé en souriant doucement des gamins qui pleuraient. Assis des vétérans qui avaient vu assez de morts pour sentir venir la leur, même -surtout- à travers les discours lénifiants des infirmiers. Accueillie en prières hurlantes ou silencieuses à des divinités ou des proches. Certains ont visiblement de quoi craindre ou en découdre dans un au delà qui promet d'être chahuté.

Les hommes déliraient, voyant à travers ceux qui les soignaient toute une clique d'êtres aimés et d'ennemis acharnés. Nous recueillions des murmures, confidences de chevets et d’oreillers non partagés, des serments, des testaments à transmettre ; soyons francs tous ne le furent pas et je sais quelques pactoles enterrés qui furent soigneusement notés par quelques uns de mes collègues.

Il est optimiste d'évoquer des collègues. Les hommes jouaient de la scie et du gros fil, les femmes des pansages et des sourires. Au premier à qui je refusais plus d'attouchements que mes mains à ses soins, il en jura se venger. Mais j'étais la sorcière et lorsqu'il voulu au soir me chahuter, il ne pouvait plus prétendre à nulle chevauchée. Dès lors ma réputation s'établit et l'on cessa à ce sujet de m'importuner.

Car j'étais la sorcière, plus habile que beaucoup en travaux de reprise et potions, condamnée en échange à solitaire position. Même les infirmiers n'osaient trop me parler et quand à partager pitance je vous laisse imaginer. J'ai vécu plus chastement parmi ces hommes violents que toute une jeunesse en errant.