Il enfouit sa main dans ses cheveux longs, dans leur blondeur si peu commune sous ces latitudes. Il enfouit son visage dans son cou, y déposant un baiser et un murmure.

- Je n'ai pas très envie que tu partes.


Elle ne répondit rien tout d'abord. Resta silencieuse, une main lui caressant machinalement le dos, les yeux fixant le plafond sans le voir, écoutant le ventilateur qui tournait langoureusement, allongée contre lui dans son lit. Elle laissa la colère affluer doucement, bruler en elle un instant et refluer lentement, ne laissant qu'un peu de braises pour armer son esprit dont elle connaissait les faiblesses.

Et pourquoi pas ? Tu ne perds rien ou pas grand chose. Ce n'est pas pour ce que l'on a fait ensemble ; rien d'irremplaçable et facilement encore.

Bien sur les mots sont plus calmes et moins agressifs. Puisque cela n'en vaut pas la peine, pourquoi devrait-elle éveiller les récriminations ?

- Ba, tu te retrouveras vite d'autres nanas. Et puis je n'ai pas très envie de partir non plus.


Une réponse attendue, convenue. Un nouveau silence après la voix douce mais froide, de celles qui énoncent des évidences, avant de reprendre du même ton, égrenant les constats. A peine si l'on pouvait entendre un peu de douleur cependant, derrière la construction calme au débit régulier mais limpide, inévitable.

- Je rentre en métropole que je ne suis plus certaine d'apprécier. Retrouver de loin en loin quelques uns ponctuellement fréquentés, largement oubliés et beaucoup de solitude. Ici ce n'est pas chez moi mais il n'y a plus -pas- grand chose qui m'attende là bas.


Il ne dit rien, évidemment. Il ne veut pas de ça, pas de ces plaintes et de ce désespoir froid. Il pensait pourtant ce qu'il disait, sans doute même. Sur le moment, éperdument. Qui voudrait voir partir de ses bras une fille aussi tranquille ? Qui le relançait régulièrement et ne se vexait jamais, qui ne le harcelait pas plus qu'elle ne le repoussait. A qui tout semblait aller ; mais plutôt drôle en plus et même intéressante parfois. Ni la plus belle ni la plus intelligente, loin de là ; mais disponible et franchement accommodante. Ni exigences ni caprices, l'aventure de routine idéale. Bien sur qu'il ne voulait pas perdre cette nana toujours à portée de main mais jamais dans ses pieds. Et puis l'exotisme et la satisfaction d'avoir conquis cette touriste de là bas ; après tout l'image de la séduction était plutôt attribuée aux femmes de ces îles, face aux Blancs qui venaient ici en conquérants.

Mais pour le reste... Qu'importaient ses états d'esprit au delà ?


Il ne dit rien, évidemment et elle sourit intérieurement. Elle savait bien qu'il ne dirait rien ou si peu, quelques mots... Elle comptait les secondes en silence, comptant aussi les thèmes qu'il risquerait d'aborder pour la démentir. L'évidence de la famille en premier lieu, si importante ici qu'elle ne pouvait qu'être sincère ; les amis peut être aussi.


- Quand même, ta famille sera contente de te revoir.


Bingo. Nouveau sourire qu'elle laisse cette fois poindre sur son visage, assorti d'une réponse appropriée. Il est de bon ton d'être heureux de retrouver les siens et plus encore d'être ravi des efforts faits pour la consoler.

- Bien sur, moi aussi.


Ne pas trop en demander. La brèche est trop grande et le gouffre trop dur pour qu'elle puisse s'étendre plus sur des sujets qui peuvent à nouveau déraper. Elle préfère encore s'étendre contre lui, caresser son corps qu'elle n'a pas appris par coeur, ce corps de hasard qu'elle a croisé et effleuré, qui ne s'est jamais vraiment donné ni révélé. Ce corps de surfeur bronzé, qu'elle accompagne trop rarement à la plage et bien plus souvent en pensées quand elle voit le lagon depuis l'université.

Non c'est certain qu'il ne restera pas longtemps seul. Une guitare et une planche, une gueule d'ange et même une carrière qui promet quelques finances... Elles se l'arracheront. Elle leur laisse à vrai dire : leur relation était éphémère, le fut encore plus que prévu, à peine une coucherie de loin en loin et quelques verres. Une vraie liberté.

Elle s'en fiche, se persuade-t-elle en sachant bien que ce n'est pas vrai. Elle avait espéré mieux et autre chose, elle avait voulu plus ; elle avait souhaité rentrer dans sa vie, même pour le peu de temps qu'il lui restait à passer en ces terres qu'elle avait appris à connaître à défaut de vraiment les aimer. Elle avait souhaité passer du temps avec lui, le voir au quotidien, partager ces moments de rien ; le rejoindre n'importe quand, concilier leurs emplois du temps, l'inviter dans ses activités et se joindre à ses sorties.

Il s'y était refusé, il avait gardé ses distances et son intimité. En d'autres temps et d'autres circonstances peut-être ? Mais tant pis.

Elle repartait après-demain et ne montrerait rien. Les espoirs étaient toujours déçus de toute façon, sans doute valait-il mieux qu'ils en soient restés là. C'était plus clair et plus simple, pas d'adieux ni de promesses idiotes. Les colliers d'au revoir seraient offerts par d'autres : entre eux nul romantisme n'était possible, ils étaient partis sur d'autres bases.

Pas d'attente ou de douleur. Elle ne reviendrait jamais ici mais d'autres lieux l'attendraient, d'autres hommes et d'autres aventures. Il était aussi bon que tout n'ait été qu'idioties sans conséquence.


Il était bon aussi qu'il eut marqué ce recul. Qu'il n'ai rien voulu, qu'il se soit servi d'elle, suscitant sans le savoir les hauts cris de ses amis à elle. Leurs récriminations tout du moins et quelques soupirs agacés. Ca n'en vaut pas la peine, il se moque de toi, laisse le tomber, tu me fais de la peine.

Il avait ainsi laissé une possibilité à la colère, qui lui avait permis elle même de se détacher doucement. D'éviter de tomber plus bas. De jouer la conciliante que rien ne dérangeait.

C'était elle d'une certaine manière après tout. Libre, sans attache et se souciant peu des conséquences et de l'après. C'était elle évidemment : n'était-ce pas le portrait qu'en avaient fait ses amis ? C'était elle évidemment, répétait-elle comme un mantra. Tout ce qu'il fallait pour contrer les idioties qui dansaient dans sa cervelle. Avec une dose d'orgueil, elle avait les armes ultimes pour ne rien laisser paraître des vides et des fêlures. C'était elle il est vrai, réservant ses billets d'avion et programmant ses rêves d'évasion.

Le reste ? La douleur insidieuse et les rêves romantiques ? Le prix à payer pour l'adieu à la naïveté, sans doute. On ne marie pas les surfeurs ; on prend comme eux la vague tant qu'elle dure, on prend les vagues ponctuelles, éphémères. Il n'est rien de continu ni de durable. On peut passer sa vie dans la mer et attendre longtemps la vague ; ils avaient vécu non loin l'un de l'autre, elle espérant au quotidien un signe de lui. C'était elle pourtant, le masque mobile qui clamait l'indifférence et vivait sa vie. D'ailleurs c'est elle qui partait, qui le quittait en embarquant à nouveau sur le tarmac. Du moins les apparences étaient-elles sauves.

Les caresses se succèdent dans leur dos, rendus un peu moites par la chaleur ambiante. La saison des pluies n'est plus très loin heureusement, qui rafraichira la terre ; tout heureusement y échappera-t-elle cette année pour retrouver la grisaille d'un automne chez elle. Ils se voyaient plus pourtant, pendant les pluies qui rendaient les passes impraticables pour les planches et leurs joyeux dompteurs de vagues. Mais elle détestait ces jours infiniment gris et mouillés.

Les caresses se succèdent dans leurs dos respectifs, un peu languides. Cette langueur des îles tant vantée, qui rend les cabrioles épuisantes.

Elle l'en avait rendu muet. Prévisible.

Avantage de ces aventures sans conséquences, du moins pouvaient-ils toujours baiser pour combler les silences.