Librement inspiré de D. et ces lundis après-midi au café étudiant...

En collant l'enveloppe -j'en ai bavé pour trouver de jolis contenants autocollants qui m'éviteraient justement la langue ou le bâton de colle- je contemple une dernière fois l'adresse bien écrite, où je sais que tu ne résides pas. Mais j'ignore à vrai dire où tu vis actuellement : ces derniers temps nos rencontres se sont espacées et même les nouvelles que l'on se donnait. Je sais que tu as de nouveau quitté la métropole c'est certain, que tu as gagné les îles aux charmes lointainx. Je t'envie parfois, tu sais, des découvertes que j'imagine que tu fais. Des remarques ébahies que tu notes, amusée, sur les réseaux sociaux qui nous permettent de te suivre. Des rencontres ; je t'imagine, toujours exotique et jamais chez toi, retrouver des gens venus du même endroit, séduire ces hommes de là bas. Arpenter des rues et des paysages qui se trouvent pour moi dans les brochures de voyages. As-tu retrouvé le garçon aux yeux bleus qui t'avait fait rêvé si longtemps ? Peut-être vous êtes vous croisés à nouveau ; tu es discrète sur tes amours et tes aventures, qui faisaient nos sujets de conversation préférés lorsque l'on se voyait au quotidien. Mais ceci tu me l'aurais dit, je pense.

En contemplant cette enveloppe qui ira loin, en passant par bien des mains, je souris cependant. La porte vient de claquer et je sais qui est rentré. Je sais qu'il viendra m'embrasser, masser rapidement les épaules qui me restent toujours un peu crispées. Il sourira lui aussi, contemplant les enveloppes. Blaguera peut-être sur le nombre d'invités, sur les sommes faramineuses en timbres. Mais je sais bien ce qu'il en est. Il sourira et m'embrassera encore : depuis le temps que l'on parlait de ce projet, depuis les mois qu'on le prépare concrètement, voir enfin tout s'emboiter, voir enfin les invitations prêtes à être postées...

Bien sur que c'est un rêve de petite fille. Je sais que tu souriras à la vue de ma robe, si classique et si cliché ; une vrai meringue de princesse. Ne l'ais-je pas toujours été un peu ? On en riait, quand tu trainais d'affreuses bottes à crampons à coté de mes élégants talons : dans ces cas là cependant pouvait-on se regarder dans les yeux sans que j'aie besoin de les hausser. Jolie petite fille-femme, forte et fragile. En posant ton enveloppe sur la pile des autres, je sais déjà que tu l'ouvriras bien plus tard que les autres. Ignorant ton adresse, je l'envoie à celle que tu m'as donnée, au domicile parental qui joue les centres de tri et de distribution de ton courrier. Ils t'envoient de temps en temps ce que j'imagine être de grandes enveloppes brunes, pleines des courriers qu'ils ont reçu pour toi. Entre les factures et les cartes postales, tu trouveras donc ce rectangle crème au papier un peu épais. A l'écriture élégante et turquoise. J'imagine déjà ton étonnement puis ton sourire quand tu retourneras l'enveloppe et verras nos noms sur le verso.

Ou peut-être auras-tu déjà deviné rien qu'à l'aspect. Je doute que tu reçoives si souvent de telles enveloppes et puis j'ai tout de même assuré le pragmatique avant de te l'envoyer, te questionnant directement depuis nos chers réseaux sociaux. Il fallait bien te redemander une adresse et surtout, surtout savoir si tu risquais d'être accompagnée...

Rien n'a changé n'est-ce-pas ? Il faut toujours envoyer ton courrier « chez toi » comme tu précises en sachant que tu n'y vis pas. Et t'inviter seule, évidemment. Non, toujours personne avec toi même si tu me glisses parfois des nouvelles de la vie de ton lit. Qu'est ce qu'on pouvait en rire à l'époque... Et les concours montés ensemble, des bizarreries que nous offraient ces hommes qui croisaient nos chemins. Et les commérages si tard dans la nuit, les yeux ronds et le rire haut. Je t'envie parfois, quand je reçois des cartes postales d'endroit que je ne situe même pas. Quand tu m'évoques ces fruits incroyables et la mer où tu nages joyeusement. Quand tu m'évoquais ces lieux où tu es retournée, la rue où j'ai habité, les locaux qu'on avait fréquenté, cette année où l'on s'était rencontrées outre-atlantique. Tu passes du froid au chaud, intercalant à peine quelques escales en ton pays. Le temps de travailler une opportunité, de refaire des papiers en attendant la suivante.

Mais quand je lui tends les enveloppes qu'il ira poster ce soir. Quand il me regarde avec ces yeux ravis, quand il serre mes mains autour de ce papier au grain fin si élégant. Quand on se donne la main sur ce projet qui se concrétise enfin... Je ne t'envie plus. Je connais ta solitude, je crois. Je suis passée par des périodes aussi, des moments de rejet et de tristesse. J'en suis heureusement sortie depuis longtemps. Alors certes je découvre moins de villes et moins de gens. Mais j'ai tissé autour de moi un réseau à mon image, un peu mouvant mais solide et durable. J'ai mes amis, avec qui le lien ne fait que grandir à mesure des moments partagés -je sais que tu te sentais à l'écart quand tu venais, à l'écart de nos rires et de nos connivences.

Certes je dors avec le même homme chaque nuit ; mais je dors avec chaque nuit, lui qui m'accompagne au quotidien.

Et voilà le résultat. La robe et les invitations, ce que vous verrez pour le moment ; les engueulades au sujet des réservations, les coups de gueule dans le salon, qu'on met sur le dos du stress avant de se réconcilier évidemment. Tu étais au courant de tout cela quand on se voyait régulièrement, quand tu étais la plus proche à qui je pouvais confier mes doutes et mes espoirs, car les autres étaient loin. Deux exilées volontaires sur un nouveau continent, qui s'étaient croisées par hasard et liées par amitié. De ces amitiés étranges du temps court et de la rupture avec le quotidien, nées de rencontres et de l'absence du groupe habituel. Les seules que tu connais, peut-être. Ces amitiés qui peuvent être très fortes, l'intensité remplaçant la durée ; qui mènent vite à l'intime et aux confidences, puisqu'il faut bien en faire et que les interlocuteurs habituels sont loin, hors du coup. On leur raconte aussi évidemment, mais c'est un peu différent. Alors je te racontais mes doutes et mes espoirs concernant un couple dont tu ne connaissais qu'une moitié des participants. Tu savais qu'il n'y avait pas que les rêves et les déclarations d'amour ; tu supportais mes colères et mes peurs face à ce qui nous attendrait à mon retour...