J'ai voulu que ça tienne, malgré les hauts et les bas, malgré ce qui grince et ce qui n'allait pas. J'ai voulu que ça tienne et je crois qu'il l'espérait autant. Il craignait tellement que je parte, tu sais. La sensation en est gratifiante. Il n'y a pas de désespoir possible tant que je suis accompagnée ainsi ; on vit nos vies de chaque coté, chacun sa profession et ses projets. Mais les principaux projets sont ceux qui nous lient et ces enveloppes qui s'en iront bientôt dans trois ou quatre pays différents -trois, en fait ; ou que tu vives actuellement, je sais le nom de l'île et tu m'assures qu'il s'agit bien du même pays que la métropole qui m'est voisine-, ces enveloppes donc en sont bien l'exemple.

Si tu savais comme je me sens fatiguée parfois. Stressée, en colère contre lui qui me déçois encore quelques fois. Ce n'est pas à toi que j'apprendrai que rien n'est jamais parfait... Mais je m'en satisfais. Apprendras-tu à te contenter des perles sur ton chemin ? Bien sur il n'en est jamais d'absolument ronde et sans défaut. Bien sur pour le moment, autant que j'en sache, tu tombais plus souvent sur des éclats de verre et de pierre. Mais peut-être aussi parce que tu refusais d'accepter les bijoux qui croisaient ta route, sous prétexte qu'untel manquait d'éclat, qu'un autre était trop ceci ou trop peu cela ? Qu'il ne t'attirait pas.

Quand on s'est rencontré, qui aurait parié sur un tel succès ? Quand on s'est rencontré, lui et moi : des opinions qui, plus que diverger s'opposaient de front et s'opposent toujours ; des projets de vie qui ne se croisent pas, des domaines d'intérêt qui n'ont rien en commun. La seule certitude commune c'était celle qu'on ne durerait pas ensemble. Mais qu'on aimerait bien que ça tienne quand même... Je dois apprécier les opposés. Quand on s'est rencontré toi et moi ? Moi la poupée blonde et pailletée dans mes rêves décorés comme un Disney. Avec assez de force et de joie de vivre pour être aussi la première à filer en soirée, la première à boire et vous entrainer. Assez de faiblesse pour avoir besoin de mon prince, fort et rassurant. D'être certaine de pouvoir en garder un dans mes filets, quitte à les tester sur les autres. Et toi alors ? Toi la fille libérée, qui se jouait femme indépendante et fière. C'est vrai, dans une certaine mesure tu l'étais ; tu as toujours aimé à voyager, ta porte était toujours ouverte à nos jours de déprime et nos passages improvisés, tu parlais cul sans restriction et n'hésitais pas à le mettre en pratique sans engagement. Mais je sais aussi que si tu couchais le premier soir c'était parce que vraiment il te plaisait. Que tu pouvais passer des mois sans la moindre aventure, quand je craignais mes dérapages interdits, par simple manque d'intérêt pour ceux que tu croisais. Même juste pour s'amuser. Que tu tenais à certains qui s'en fichaient bien. Tu n'engageais pas l'autre mais tu t'engageais, toi, sans restriction ni sans arrière-pensée. Entière. Fragile aussi. Je connaissais tes déprimes, tes tendances à voir en rose ou noir selon l'état de tes relations avec les autres, qui te faisaient passer du tout au tout selon les jours. Entière, mais fragile et fracturée.

Je dois aimer les contraires et les opinions divergentes, pour m'attacher ainsi à vous. Mais il est vrai que si je t'envie pour l'apparente liberté et les lieux bien réels où tu te promènes, je t'ai aussi côtoyée d'assez près pour en voir le revers de la médaille.

Je ne t'envie pas de dormir seule plus souvent qu'à ton tour, de n'être ni casée ni papillonnante. De bâtir des projets et de tout renverser du jour au lendemain, d'avoir plein d'idées mais jamais enrichies ni renforcées par les volontés d'un partenaire au long cours. De rencontrer tant de monde et de ne nouer que des contacts éphémères, difficilement approfondis et dissouts par tes départs incessants.

Ainsi je ne t'envie pas tout. Je t'envie les voyages qui me sont devenus des vacances quand le quotidien me prend trop pour lier les départs et l'emploi. Qui ne rêverait des paysages idylliques où tu poses en photo ? Mais je sais trop bien qu'il y a bien des pans qui ne se prennent pas en photo. Les visages défilent sur les tiennes mais aucun ne reste bien longtemps ; les visages sont toujours liés à une région, un voyage en particulier. Amitiés territorialisées pour une éternelle voyageuse, évidemment cela fini par poser problème.

J'aime à penser pourtant que certains liens perdurent et le carton qui va filer au loin s'en fait signe, à défaut de preuve. Parce qu'on a partagé de bons moments et que j'appréciais ta compagnie. Parce que si notre amitié perdure, rien n'empêche donc, malgré tes errances et tes départs, d'autres à cette image ou tes amours de perdurer.

C'est tout le mal que je puis te souhaiter.