Suite d'ici

Tu n'avais pas tout à fait tord, tu sais, et j'ai souri à te lire. En effet, tous les deux mois environ et selon quoi, une grande enveloppe brune est postée de ce chez-moi où je ne réside pas, ce chez-moi d'une enfance achevée depuis longtemps déjà... Ou jamais tout à fait.
Une grande part du courrier qui m'est destiné ne m'atterrit à vrai dire plus tout à fait entre les mains. Il y a ce qu'on ouvre pour moi là bas, auquel on peut répondre à ma place ou me scanner s'il le faut.
Le courrier papier voyage il est vrai moins bien.
Mais celui-ci, s'ils ont pris la peine de l'ouvrir en premier pour en vérifier l'urgence, ils ont tenu out de même à me l'envoyer tout entier.

J'ai donc reçu ce matin une enveloppe contenant deux cartes postales, quelques documents administratifs et cette enveloppe épaisse et filigranée. Curiosité.
Non, je n'ai pas reconnu ton écriture au devant, mentionnant cette adresse qui me sert tout à la fois de poste restante et de centre de tri. Mais l'expéditrice au dos du carton ne m'était pas inconnue, pas plus que le second nom à tes cotés.
Alors j'ai souri.

J'ai fait durer le suspense. Je me suis levée du lit où j'étais installée, suis allée me servir un verre au frigo. Je n'ai pas un grand chemin à faire pour cela, tu imagines bien que je réside encore en studio, ici un nouveau meublé loué pour la moitié de l'année, ayant trouvé un contrat pour ces quelques mois.
Ce n'est pas un thé comme nous en partagions autrefois que je me suis fait aujourd'hui ; je réserve les boissons chaudes au diner, lorsque le températures daignent enfin descendre un peu. Oui, j'ai bien rejoint à nouveau les tropiques pour quelques mois ou peut-être, j'espère, une paire d'années. Sans doute que tout dépendra des opportunités.

Il est heureux qu'il soit d'usage d'envoyer bien en avance ce genre d'invitations ; je te promets de réserver au plus tôt mon billet d'avion.

Ainsi tout ceci a donc pris forme et vous en êtres rendus à la mairie... A l'autel aussi, si j'en crois ce que je lis. Pour l'hôtel, il y a déjà quelques années que tu avais rajouté un deuxième oreiller au chevet de ton lit d'étudiante. J'avais eu ensuite quelques échos de votre emménagement commun, des disputes et des bons moments.
Il y avait du bonheur et des promesses, même dans tes pleurs quand tu débarquais chez moi souhaitant que tout cela cesse. Tu passais quelques heures et repartais, vidée de ta colère à défaut de réellement regonflée. Vos retrouvailles se chargeaient de te soigner tout à fait.

Vous formiez un beau couple il est vrai, que beaucoup enviaient. Moi y compris, eh oui !
La libertaire et l'éternelle célibataire. Qui collectionnait moins les hommes qu'elle les regardait passer de loin. Peu daignaient m'approcher, moins encore étaient jugés supportables à rester, même pour la soirée.
La fille libérée, qui bougeait, riait fort et picolait, finissait parfois la nuit dans le lit de l'un ou l'autre... Mais n'y aurait sûrement pas passé sa vie.
Je disais que je n'y tenais pas, que même un soir cela ne m'intéressait pas. Tu savais ce que je n'y trouvais pas, chez ceux-là qui s'intéressaient à moi ; jamais tout à fait, jamais vraiment satisfaisants.
J'étais trop difficile surement, y compris et premièrement pour mon propre bien.

Alors on riait de tes grands projets, maison mariage enfants et de mes idées toujours de passage, courts projets et voyages.
Mais on riait ensemble, y compris lorsque l'on se charriait mutuellement sur nos choix de vie réciproques et différents. On avait l'amitié improbable de ceux qui ne se ressemblent pas à première vue mais partagent bien certains points. Peut-être invisibles à l'oeil et donc, dit-on parfois, plus essentiels.

Sur qu'on ne s'est pas vu longtemps, ayant fait connaissance au bout du monde lors d'un exil volontaire, revenues ensemble un temps avant que je n'embarque à nouveau pour d'autres latitudes.
Revenir sous les nôtres me fera sans doute du bien -ce genre de bien présent et profitable parce qu'on sait ce retour l'affaire d'un moment, non permanent. Le pays m'est escale à présent, pour mon plus grand bonheur.

Le reste ne peut peut-être pas en affirmer autant.
Non, je ne regrette pas d'avoir quitté ce pays, j'en savoure au contraire l'ici où je revis.
Mais... Certes on ne peut pas non plus parler de regrets, non, mais plutôt d'une acceptation pas tout à fait de bon gré. Je parle ici des mouvements et de l'allant, de la bougeotte et des déménagements incessants.
Bien sur je parcoure et découvre des paysages sans fin. Des villes et des campagnes, des us et ds coutumes car c'est aussi, sinon peut-être avant tout, une quête de l'humain que ces départs et ces chemins.

Mais je viendrai c'est promis, même de loin, même d'ici. On ne manque pas l'union rêvée de son amie, fusse-t-elle éloignée, manque-t-on de nouvelles et de quotidien, échangés contre la distance et le flou du lointain.
Car je me souviens.

Et toi aussi visiblement puisque tu as pensé à moi en distribuant ces cartons blancs.
Tu ignores l'effet qu'ont eu sur moi ce geste et cette pensée. N'avoir pas été oubliée, compter encore malgré la distance où j'ai tous les tords. Nul besoin d'argumenter encore le prix de ton amitié et la gratitude éprouvée à cette idée.