Bien sur qu’il y a pire, songeait-elle en prenant le dernier train, feuilletant les horreurs ordinaires du quotidien laissé froissé sur le siège voisin. C’est même certain.
Mais tout de même, et ce n’est pas une question de danger, d’insécurité puisque je laisse à d’autres ces peurs imaginaires intériorisées. Mais ce soir j’aurais aimé rentrer accompagnée.

Du groupe, il y a de la tristesse à s’être ainsi séparés, à ne pas continuer ensemble plus loin dans la nuit, dans la pénombre et les bruits. A devoir se soucier des heures et des trains. Retrouver les néons crus du quai blafard, les sifflements des wagons sales entrant en gare. Il me semble que la laideur serait moins déprimante à plusieurs.
Il y a d’autant plus de tristesse à rentrer seule alors que l’on souhaiterait, plus qu’un groupe un duo. Mélancolie d’humeur à laquelle s’accordent les lieux, le temps, les gens.
Qu’est-il de plus solitaire que le voyageur en gare ? La gare est un lieu de solitude, où la foule se croise et se cotoie sans se connaître, où chacun n’est qu’un électron solitaire sur une route et des plans qui ne sont que les siens, dussent-ils arpenter quelques temps le même chemin de rails et de couloirs. Les gares en témoins de la solitude, où même un groupe n’est qu’un électron plus massif, un atome peut-être mais tout aussi solitaire, traversant un espace qui n’offre aucun ancrage. Lieux où électrons et atomes défilent, dérivent parfois mais non, le plus souvent défilent vers ces objets auxquels ils appartiennent, sans en former en ces lieux.

Oh, rien de grave ou de dramatique et la soirée passée n’en reste pas moins sympathique. Et puis quelle gravité à rentrer seule en bonne santé, à pouvoir sortir, circuler et rentrer seule sans grand danger ?
Situation bien loin d’être universellement partagée. Non, nulle gravité.

Tout de même un petit pincement, une bouffée de regrets pas tout à fait amers mais vaguement déçus, douceâtres. A quoi bon les sourires et la proximité, à quoi bon lui avoir fait –merde quoi- du pied la moitié de la soirée si c’est encore pour rentrer en solitaire ? A quoi bon disposer du luxe d’un hébergement pour soi seule si c’est pour n’y faire entrer que soi même.
Ni vraie tristesse ni frustration mais, oui, une ombre de tendresse et de déception.