Les voix se taisent ensemble, le ton baissant lentement. Il en est
toujours un qui traîne plus longuement, sans s'apercevoir qu'il en
fait trop, qu'il s'impose un peu sur l'eau du choeur. Sourires des
membres qui s'en amusent le plus souvent.
Elle grimace un peu intérieurement au credo. Elle ne croit pas à
tous les mots. C'est identique en nombre de prières et de chants.
Prononcés dans l'ensemble sans jamais vraiment croire au sens.
Non, elle ne croit pas en ce Dieu Tout Puissant ni en son Fils
ressuscité. Mais elle croit en l'ensemble de ces gens bienveillants,
croit avec eux, en eux à la bonté.
En la bienveillance et la confiance qui s'en dégagent lorsqu'ils
psalmodient ensemble.
Alors, s'il existe vraiment ce Dieu dont ils parlent tant, s'il est
Amour comme on ne cesse de le répéter, elle prend le pari qu'il
saura pardonner. Qu'il comprendra les mots faux pour les actes vrais.
Car à défaut de croire elle s'efforce de pratiquer. Non pas tant
les prières, le chapelet ou la récitation le soir au pied du lit :
seule elle ne prie pas, refusant de mettre en scène une mascarade au
creu dénué de sens.
Mais à défaut de croire et prier elle s'efforce de pratiquer. La
bonté. La paix et l'amour irrigués, irrigants chacun de ses gestes
au quotidien. Ou presque. Elle est loin d'y réussir et s'agace
souvent, détourne le regard où elle aurait pu tendre la main. Elle
le sait bien. Essaie de faire les efforts qu'il faut bien. Devenir
quelqu'un de bien.
Il lui semble qu'il y a quelque part la même idée dans celle de
vivre en chrétien. Alors elle rejoint la messe et s'y trouve bien.
Trouve sa place auprès des autres. Se réchauffe à leur foi,
peut-être. Se réchauffe à l'assemblée, appartenant sans jugement
au groupe occupé à prier.
Il y a eu des années avec et des années sans. Elle regrette
l'évidence, enfant, où elle ne se posait pas la question de la foi.
Cela semblait être et peu importe si l'on ne comprenait pas.
Un jour, enfant toujours, adolescente peut-être, la question s'est
posée. Et la réponse y fut trouvée : elle n'avait pas la foi.
Ne croyait pas.
N'a jamais, depuis, cru en quoi que ce soit. Ni divinité ni toute
puissance, ni être ni super-conscience.
Adolescente alors, elle avait cessé d'y participer. Le manque de
foi, la certitude de n'avoir pas le droit. Elle se sentait de trop au
milieu des prières et des déclarations qui l'apaisaient autrefois.
Le manque de foi s'était fait intense et les messes étaient,
toutes, le rappel de son incapacité.
Elle aurait aimé croire. Puiser dans la foi courage et volonté.
Cela lui était refusé.
Mais n'avait cessé de le dire qu'elle croyait en l'homme. En la foi,
celle là même qu'elle ne possède pas. Peut-être que Dieu n'existe
pas ; mais la foi, elle, est palpable et ne se discute pas. Et,
force de conviction d'un ensemble partagé, peut faire et défaire
l'humanité.
Elle sait les horreurs qui ont été commises en son nom. En toute
bonne foi et conviction parfois. Bien sur tout n'est pas rose et
c'est un flot qui peut noyer aussi bien qu'irriguer.
L'inconfort surpassant le réconfort qu'elle y trouvait auparavant,
elle s'était éloignée de tout ça. Avait cherché ailleurs,
d'autres groupes et communautés, l'amour et l'amitié qui toujours
semblaient lui manquer.
En revanche, n'avait jamais cessé de pousser les portes des églises.
Les a toujours aimées, pour la sérénité. Même vides, même
solitaires. En vadrouilles et chemins, elle s'arrête souvent pousser
la porte des bâtiments. Closes, elles lui laissent une déception
douce que l'on n'attendrait pas chez cette athéiste convaincue,
quelque peu nihiliste si l'on creuse et dont le quotidien semblait bien
loin de celui des Chrétiens.
A défaut de prier, elle aime s'y poser. Mains jointes sur les bancs
désertés, saluant parfois une mamie agenouillée ou, selon les
lieux et les moments, quelques touristes étrangers. Elle s’assied
en silence et laisse passer le temps. Elle dit qu'il y a dans les
églises un important potentiel de ressourcement. Que tous ces
chants, toutes ces déclarations répétées, tous ces espoirs et
cette foi toujours maintenue, même dans les moments les plus noirs,
doivent avoir imprégné les murs et l'air que l'on y respire. Elle
dit que les églises sont des lieux de paix.
Un jour, adulte, à force de s'y arrêter, est-elle tombée sur une
messe. Y a assisté, bien plus que participé. Alors, plus que
l'inconfort adolescent, c'est bien la douceur, la chaleur qui se sont
fait touchants.
Depuis, elle y revient régulièrement. Elle puise, comme enfant,
l'amour et la sérénité dans ces cérémonies cadrées.
Elle choisit bien sur ses églises, ses communautés. Mais aime s'y
plonger, partager. Les moments de foi sont des moments d'union.
Même sans y croire, se sent-elle incluse, accueillie. Elle planque
ses doutes et ses débris ; pour le reste, les bras sont ouverts
et les sourires le plus souvent sincères.
Il y a de l'amour dans ces communautés, dans leurs manifestations
tranquilles, sans grandiose ni élites. Elle ne recherche pas les
grandes messes cérémonielles mais la régularité de la communauté.
Elle retourne à la messe régulièrement et, avec le recul, ne
saurait dire si c'est prier vraiment. Communier, simplement.
Elle aime toujours autant le geste de paix, songe-t-elle en enlaçant
sa voisine. Elle aime l'accolade ouverte et franche offerte aux
inconnus, pour le bonheur de l'étreinte partagée.
Elle se dit, peut-être, qu'Amma n'a rien inventé. Que l'on
s'ouvrait les bras dans les églises depuis des années. Qu'Amma n'a
rien inventé sinon sortir des murs et des moments déterminés,
autorisés.
Elle aimerait que les Chrétiens portent partout le geste de paix.
Ouvrent leurs bras et leurs coeurs pour transmettre cette paix du
Christ, rituellement murmurée à celui qui partage l'étreinte. Une
paix d'amour et de bienveillance. Il lui semble que tout ceci est
humain, ou devrait l'être, bien avant d'être religieux ou chrétien.
Alors elle ouvre ses bras dans l'église, enlace et accole les
voisins, d'un sourire qui se veut foyer et serein.
Et répète le geste au dehors. Enlace ses amis, ses proches et ceux
qui le veulent bien. Donne accolade en au-revoir, en réponse au
chagrin, parfois sans autre raison que le plaisir de partager
l'étreinte.
Elle aimerait faire passer dans le geste tout l'amour qui l'inonde.
Tous ses souhaits de bonheur et de bien. Elle aimerait que l'étreinte
soit confiance et foyer. Aimerait offrir entre ses bras un espace où
être soi et se savoir aimé.
Elle aimerait faire passer l'idée, aussi, dans tous ses gestes au
quotidien. Dire l'amour et l'amitié. Dire tout le bien qu'elle ne
peut que souhaiter.
Il lui semble parfois que l'amour est un fleuve immense et invisible,
un rayonnement qui déborde d'elle sans qu'elle n'y puisse
grand-chose. Elle aimerait qu'il réchauffe, qu'il serve à quelque
chose.
Il lui semble parfois que son coeur déborde et manque tout à la
fois. Qu'elle peut, qu'elle ne peut faire autrement qu'aimer,
embrasser le monde et ne poser qu'un regard le plus bienveillant
possible.
Oh, elle n'ignore pas la colère. La rancoeur et même, parfois, le
mépris. Mais elle essaye de faire barrage à ces sentiments pourris.
Qui de toute façon s'effacent le plus souvent, pour la même
situation, sous la douleur et la déception. Les hommes déconnent et
s'arrangent le plus souvent pour en souffrir d'eux mêmes ou
s'entraver dans leurs peurs et leurs rancoeurs.
Sans pouvoir toujours le pratiquer, elle ne souhaite que le bien. Que
du bien, à tout un chacun.
Alors elle se pose le dimanche auprès de pas-tout-à-fait-les-siens.
Et poursuit parfois l'aventure -un peu clandestine, un peu simulée
mais pourtant vraie, tellement vraie- en accompagnant au-delà des
cérémonies.
Elle a rejoint, pour quelques jours, des communautés ouvertes de
religieux accueillant pour des séjours et retraites. S'est laissée
bercée par le rythme lent, récurrent, d'une vie dans la foi et le
don de soi. A fait taire, un peu, la voix disant qu'elle n'y avait
pas le droit. Si la foi, le fond n'y était pas, devait-elle se punir
doublement en se privant des formes ?
Elle trouvait dans ces moments la paix qui lui semblait ailleurs
refusée.
Elle avait rejoint des retraites et des rassemblements. De prières
et de chants, de discussions et de gens. Elle savait qu'elle mentait.
Mais le sourire et la chaleur étaient vrais.
Alors elle portait son âme assoiffée aux flots d'amour et de bonté.
Parlait, chantait, récitait et communiait. Ne se sentait jamais
aussi bien accueillie et aimé qu'au sein de ces communautés.
Parfois, la lancinait le constat de se sentir le mieux aimée auprès
de ceux à qui elle mentait.
Mais la douleur était douce, en comparaison de l'autre. De
l'aridité. De la tristesse et de la solitude du monde vrai. Loin de
l'amour et de la bonté -ceux là étaient trop rarement croisés.
Il lui était impossible de se sentir seule à l'église. Au dehors…
Débordant d'amour il lui semble souvent se dessécher du dedans.
Quémander, avoir à l'intérieur un espèce de grand chien aux yeux
tristes attendant le moindre signe d'attention, de tendresse.
Elle se sait assoiffée. Le planque bien le plus souvent. Après
tout, elle est celle qui s'efforce de donner.
Elle reçoit volontiers. Laisse les autres l'aimer, l'entourer, la
choyer. Et ne vient pas quémander. Il lui semble parfois que tous
ses proches, ceux-là même qui l'aiment et disent être là, ne
pourraient que s'enfuir en comprenant l'état du désastre intérieur
et l'ampleur des vides à remplir. Elle sait qu'il faut avoir
beaucoup à offrir pour espérer suffire.
Alors elle donne et reçoit. Sans limite et sans contrepartie.
Et connaît la solitude des amours sans retour. Du spectacle
quotidien de ceux là qui ne se veulent pas de bien. Qui railles et
maudissent leurs voisins. Elle saigne un peu chaque jours de la
mesquinerie des humains. Aide où elle peut, quand elle le sent bien.
Aimerait parfois qu'on lui prenne la main. Avancer accompagnée.
Tracer à plusieurs les chemins de bonté, dont l'exigence laisse
parfois brisé le cantonnier isolé.
Alors elle retourne à l'église et ponctionne cet amour qui y
rayonne.
Bien sur tout n'est pas vrai. Bien sur elle est ce qui est peut-être
le plus faux. Elle le sait. Et après ?
Elle vient communier comme l'on ferait le plein. Se ressourcer,
s'apaiser. Se dire qu'il existe ces moments de bonté où l'accueil
est évident, l'unité spontanée. La solitude oubliée pour un
temps.
Alors elle chante et va communier. Pour la présence et la paix. Pour
en sortir le pas léger. Et continuer.
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