Récits vagants

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Eclats de vies

Est ce qu'on s'est perdu en cours de route ?

Est ce qu'on s'est perdu en cours de route ?

T'as perdu la route, déjà, et ce n'est pas lié qu'aux derniers mois. Bitume et forêts, passeports et voisinages, l'impression d'avoir échangé l'errance pour les sentiers balisés. Lissés. Policés.

C'est perdre un peu de ton identité, du moins tu le croyais, du moins tu le voulais.
C'est temporaire mais pour combien d'années ?


Et t'as tout autant perdu les gens. Un peu loin, un peu distants. C'est toujours toi qui te barre, faut dire, mon gars faudrait voir à pas trop leur en vouloir. Dernièrement tu ne retombes plus non plus, ne creuse plus de trou même temporaire, petites tanières sociales élémentaires qui se tissaient autrefois un peu partout.


Le retour du putain de sentiment de solitude. Vieux compagnon que t'espérais largué pour de bon, mais de ces ex un peu collants qui débarquent toujours dans les creux, pile quand tu galères au rebond.

L'impression d'avoir perdu à la fois l'errance et les ancrages. C'est aussi con que ça sonne en image.
Il reste quoi, alors ? Ni l'allant ni les liens, c'est à peu près rien. Posé là sans trop savoir comment c'est arrivé, comment on s'est laissé englué, sans même se laisser entourer. Un peu au bord de la chaussée, un peu au bord de la nausée.


Ça a été écrit mille fois et vécu des milliers. Un jour tu te réveilles et t'es vieux. T'as perdu tes rêves comme autrefois tu perdais ton sang-froid.


Ce putain d'âge. Vieillir sans y toucher, se retourner sans trop savoir si l'on a vraiment vécu ses plus belles années. Trop occupé à chialer, angoisser et rêver.

Un jour t'es vieux et c'est passé. Oh, peut-être pas vieux tout à fait, t'inquiètes t'as encore ton temps à tirer, à trimer.

Mais la jeunesse est passée en te laissant un petit goût amer d'inachevé. Te restent des souvenirs pas réalisés et du gras difficile à ôter.


Bien fait ! Fallait probablement choisir plus tôt entre l'errance et l'ancrage. T'as voulu jongler, les deux t'ont échappé. T'as même cru naviguer accompagné ! Tant de naïveté, on croit rêver.


Reste le vieux collier qui gratte le cou pelé, presque le chien de la fable mais encore trop con, incapable de s'y faire.

Ni chien ni loup, t'es socialement quelque chose du bâtard galeux qui tourne autour des poubelles.

Les grands yeux qui envient la chaleur du panier et la sécurité du collier assumé, sachant bien que tu ne t'y plierais jamais tout à fait. Les grands rêves terrifiés qui ne franchiront pas les bois, qui n'oseront pas s'ensauvager. Quelque chose du roquet à mamie, qui tire fort sur la laisse et se planque nerveusement si on te l'enlève.



C'est tellement drôle. Ça a été écrit mille fois et vécu des millions, devenir tout ce que tu ne voulais pas et apprendre à t'en contenter. C'est jamais un combat à fracas. Plutôt l'infiltration lente dans la charpente. Un jour t'as plus la force. Ou la motivation. A quoi bon ?

Alors tu colmates et tu rebouches les rêves qui ne sont plus tenables.


Ca aurait pu se béquiller mais t'es pas bien entouré pour ça. T'as déjà oublié ? Le putain de sentiment de solitude. T'es même plus entouré, même plus du brouhaha passager. Et pas plus ancré.



Y'a des échecs qui n'ont eu besoin de personne pour bien se passer. Parce qu'ils ne sont jamais tout entiers, c'est là qu'ils gagnent et finissent par s'imposer. Sans heurt ni fracas. Comme un refroidissement de soi, un attiédissement de soi. T'es pas éteint, t'as bien gardé quelques trucs sur lesquels compter. Un peu de valeurs, un peu d'engagements, un minimum de chaleur.

Ca perd son sens mais t'en donne encore assez pour qu'il soit dur de tout balancer.
T'es au putain de SMIC du sens de la vie.

Qui érode les angles et enfouit les rêves à la con sous la moquettes d'un quotidien presque tout confort.

Presque. Parce que comme t'es nul même à ça, c'est même pas tout confort. Tu seras jamais bien au panier, et t'envie les collègues qui s'y sont lovés. T'as plus les tripes pour courir en forêt, et tu doutes les avoir jamais eu. Tu n'erres pas plus que tu ne t'es posé. T'es juste là. Et ça ira.

Intimité

Je me demande, disait-il, quand le monde et moi recommenceront d’être intimes. Il accompagnait la remarque à mi-voix d’un sourire clair, d’une simplicité épurée. Il y avait de la lumière, dans ce sourire même qui appuyait des mots d’ombres.

Des mots d’ombre et de tristesse, dureté lourde informulée. Il ne s’en cachait pas, mais l’évoquait peu. Il fallait aborder le sujet à deux, qu’en face l’interlocuteur se révèle sensible et curieux, saisisse au vol une allusion pour la creuser. Ce qui arrivait, car c’est aussi ceux qu’il cherchait, les sensibles, attentionnés. Ceux dont il voulait s’entourer.

Il avouait volontiers l’étrangeté, tout l’éloignement d’un monde à faire semblant. Il n’était pas même triste, pas vraiment. Juste distant. Ce n’est pas triste, non vraiment. Trop étranger, tout simplement, pour en être même touché.

Il savait, plus ou moins, les histoires et les chemins où bifurquaient le monde et lui par le passé.


Intime. Il le faisait sourire ce terme qui s’imposait parfois, en tous sens et tous propos, déballé par d’autres au sein des mots.

Il souriait. Aimablement, pour de vrai. Un peu jaune aussi, triste intérieurement. Intime est un mot qui se décline, songeait-il, et dont tous les sens ne me sont plus vraiment accessibles en prime.

Intime alors. Intime disait-il dans la moiteur des corps et les gémissements des plaisirs dans l’effort. Oui, il y avait bien de l’intimité dans ces nudités accolées, ces gestes à l’obscénité normalisée, ou au naturel consacré. Intimité. On pouvait même parler d’aimer. Elles disaient faire l’amour et parlaient d’intimité. Il fallait reconnaître un peu d’intimité à s’afficher ainsi, nu vulnérable, haletant de plaisirs partagés.

Et pourtant. L’intimité partagée lui paraissait superficielle au possible, contact animal de corps en désir. Il parlait de baiser ou coucher, avec tendresse parfois mais sans mystères jamais. D’autres parlaient d’intimité. S’il y en avait c’était avant ou après, dans les mots et les idées, dans ce qui s’échange au creux de la nuit derrière l’écran d’assurance et timidité.

Ils parlaient d’intimité, blottis chacun dans un coin du canapé, entre les verres entamés et les lumières tamisées. Et vrai, dans ces moments là livrait-il des morceaux de lui, le regard braqué sur le mur ou ses mains, ouvrait-il à l’autre de ce qui faisait lui, livré nu sans façade ni compromis.


Et pourtant. Il ne niait pas qu’à un niveau le sens était juste et collait au mot. Il y avait de l’intimité, nu contre un corps dénudé. De l’intimité lorsqu’il évoquait cru ce qu’il était et comment il pensait aller. De l’intimité encore lorsqu’il évoquait le coeur de ses pensés.

Et pourtant. Et pourtant tout lui semblait si loin, pâle et détaché. Peut-être pour cela qu’il se livrait si facilement, avançait comme nu par tous les temps, disait sans pudeur qui il était vraiment.

Il semblait donner sa confiance avec détachement, étrangement considérée comme un présent par bien des gens, parfois flattés d’entrer dans la confidence. D’accéder à ce niveau d’intimité.

Et pourtant. C’était facile et évident, de se livrer et donner, de lever toutes les portes et les laisser accéder à ce qu’ils voudraient.

C’était facile et évident, pour peu qu’on le souhaite évidemment. Il disait vas-y, laissait l’autre avancer, puiser et se servir. S’épancher aussi à loisir.

Pourquoi pas après tout, tout ce qui pouvait lui faire plaisir. Le reste il s’en foutait.


D’une part, peu franchissaient les jalons. Rare était la curiosité à son égard.

Pour ceux qui en avaient, cela flattait souvent leur ego. D’être celui, celle qui. Qui le mettait dans son lit, qui recueillait les souvenirs et les aveux. Qui avait frayé son accès, ouvert les barrières, touchait au coeur et au privé.


Il observait en souriant, affichant le bonheur assumé, observait en souriant le visage satisfait de qui l’avait fait jouir bruyamment, de qui avait écouté ses tourments livrés à mi-voix dans l’obscurité, de qui avait mis le doigt sur quelque opinion ou vérité qui le tenait. C’était la même expression souvent retrouvée en se livrant, physiquement, émotionnellement, mentalement. Dans le sourire de l’interlocuteur presque fier d’avoir réussi, d’avoir décroché comme de haute volée, par les gestes et les mots, le génie et la stratégie, à l’ouvrir et accéder à l’intime en lui.

Ils le faisaient sourire ceux-là, satisfaits, flattés presque d’avoir frayé leur chemin vers l’intimité. L’une ou l’autre de ces formes envisagées, toujours vues comme un genre de parcours, une épreuve où l’autre finissait par céder, ne plus tenir et se lâcher. S’ouvrir et s’abandonner.

Qu’ils en soient satisfaits. Qu’ils se disent avoir gagné, remporté. L’ego n’est pas mauvais à caresser, c’était après tout faire plaisir à ceux qu’il appréciait.


Qu’ils viennent, qu’ils prennent, qu’ils accèdent et se servent. L’intimité dans ce sens n’était rien qui puisse le toucher. Il avait du mal à se sentir exposé, alors même qu’il le semblait au dernier degré. Peu importait. Il disait, formulait parfois : prends. Il ne disait pas mais pensait : il n’est rien que tu puisses faire qui soit apte à me toucher.


Alors s’ouvrir, facile et béant, accessible et présent. Il disait venez, prenez. Traversez si vous voulez, passez à travers et dedans. Pour ce que cela me fait, autant vous plaire et vous flatter -mais cela, il ne le disait qu’intérieurement, devant leurs sourires et leurs yeux brillants.


Investissez les lieux, mon corps, mon esprit et mon âme encore. Approchez vous, installez vous, soyez fiers si c’est ainsi que vous le voyez, fiers d’avoir forcé les portes et levé les barrières.

Elles n’étaient pas cadenassées mais est-il vraiment besoin que vous le sachiez ? Bien sur que tout est ouvert. Il n’y a plus rien derrière à toucher ou voler.

Entrez, entrez. Pensez si vous le voulez avoir bataillé pour accéder.


Mon intérieur est un lieu désolé. Dévasté. Mutilé peut-être pourrait-on penser.


Il paraissait tenir une façade élaborée, d’amabilité sereine et détachée. Il ne jouait rien. Montrait tout. Car il n’y avait rien.

Il répugnait à parler d’intimité. Non que cela lui déplaisait. Lui aurait déplu. Simplement, il avait du mal à l’envisager. Quelle intimité, avec quelle densité, quels recoins qu’il aurait pu préserver ?

Il l’espérait. Il l’appelait. Le terme, il se forçait parfois à l’employer. Dans les premiers sens, les plus évidents. Sans conviction ni sentiment. Quelle intimité sans épaisseur ni densité ?


Oh, on aurait pu dire intimité quand il était ainsi à disposition de qui voulait bien s’approcher. Une intimité détachée. Sans enjeux, pour dire vrai. Que risquait-il d’une vulnérabilité presque extérieure à lui même, si détachée qu’il s’en sentait étranger ?

Ce n’était pas question de qui, de comment ou de moments partagés. Mais de lui, de vide et d’incapacité.


Tout cet éloignement. Même pas lié aux gens. Un détachement généralisé. Hors d’atteinte de tout ce qui aurait pu toucher. Il ne disait pas. Laissait les moments se construire, espérait à chaque fois. Et les voyait invariablement se finir. Il finissait par partir, faute de pouvoir tenir.

Car sur ce qu’ils en voyaient, sur l’intimité à laquelle ils accédaient, combien les autres se méprenaient… Pouvaient s’être mépris. Il tentait, chaque fois, de les prévenir. De dire qu’il n’y avait, au fond, rien à attendre et rien à saisir. Que rien ne battait au dedans qui pourrait répondre à des espoirs et des sentiments.

Ils pouvaient l’aimer, l’entourer, l’accompagner. Il restait inerte et à la longue vaguement agacé. Car il fallait alors leur répéter, leur dire et leur montrer. Les blesser, tout prévenus qu’ils avaient été.

Il répugnait à parler d’intimité, car le terme semblait mal choisi, si peu cohérent avec sa vie.


Il se demandait simplement quand le monde et lui recommenceraient d’être intimes.

J'irai jusqu'à toi

J’irai jusqu’à toi. J’irai jusqu’à toi et je me fiche bien de savoir si tu ouvriras. Je me doute même que la porte sera, restera close à mes yeux, mes mains, close à ce désir certain qui est mien.

J’irai pourtant jusqu’à toi.

Et au seuil, je déposerai simplement les mots dessinant les sentiments.


Je sais déjà que tu n’ouvriras pas. Que tu recevras, entendras, que tu souriras peut-être, de ces yeux qu’on n’imagine jamais mouillés. Je me doute de ta réponse à mes avances enflammées.

J’irai au devant du mur et je m’y heurterai. Je le devine et le sais, même si, bien sur, je ne peux pas m’empêcher, quelque part, d’espérer.


Que veux-tu. Elles me surprennent moi-même, ces avances. Et c’est pire en dedans, où je n’en reviens pas de tous ces retournements. De ces sentiments qui, apparus subitement, s’imposent sans le moindre ménagement. Je n’étais pas prêt, je ne m’attendais pas à voir tout cela me rouler ainsi dessus. J’ai envie souvent de râler, maudire un peu le trait bien placé, qui a transpercé, traversé. A l’insu de mon plein gré.

Car je sais à quoi mes démarches sont vouées.


Il y a de l’espoir pourtant. Irréel et doux, certain de n’aboutir jamais, impossible à tuer tout à fait.


J’irai jusqu’à toi. Un peu pour l’espoir, pour claquer au mur cet espèce de connard, sachant déjà que cela ne suffira sans doute pas. Ton « non » me refroidira. Mais l’espoir agonisera longtemps, refusant de mourir, s’acharnant à ne pas partir. Le temps, peut-être, finira par l’avoir.

J’irai jusqu’à toi. Ce n’est pas que pour l’espoir. J’irai jusqu’à toi et déposerai mes mots sur ton seuil. Hé quoi. Il n’est rien d’autre que je puisse faire. J’irai jusqu’à toi, ni pour me blesser ni pour te gêner, ni pour saigner tout à fait l’espoir en moi. J’irai jusqu’à toi car il me semble impossible d’y couper. De demeurer. De vivre encore ainsi dans le secret.


J’irai jusqu’à toi et déposerai mes mots sur ton seuil. Je ne demanderai rien, ni la bise ni même un café. Je serai là mais ne resterai pas : nous avons chacun mieux à faire que de m’attarder dans la gêne et l’amitié.


Bien sur que l’espoir cisaille, dans un coin de mon âme, quémande une réponse et refuse d’envisager en face les plus probables. Fantasme entendre de ta bouche, sentir de tes mains les mêmes mots qui brûlent et me débordent. Ce n’est pas rien. Et j’ai beau raisonner, j’ai beau répéter, me dire que c’est d’avance arrêté… L’espoir est con, ne connaît pas la raison. Ne renoncera jamais qu’à petit feu et claques répétées.


Mais ce n’est, presque, pas important. Je gère l’espoir comme l’une ou l’autre part, comme un rien qui me gave et me regarde tout à la fois. C’est en moi, n’a pas besoin de déborder ou se faire remarquer.

Ce n’est, presque, pas important. Pas le plus important.


Et même s’il ne peut pas s’empêcher d’y croire, ce n’est pas pour l’espoir que j’irai jusqu’à toi. Que je déposerai mes mots, mes sentiments sur un seuil qui ne m’accueillera pas.

Qu’importe. Je n’attends, n’exige rien de toi.


L’espoir, bien sur, trépigne de savoir. Ne peut s’empêcher de penser avoir ses chances et fantasmer. Il m’a rejoué mille fois la scène, mille fois l’annonce et l’aveu de ces sentiments dont tu n’as rien demandé. Il ne varie presque jamais.

Et se trompe sans doute tout à fait. Mais ça n’importe presque pas.


Importe la vague en dedans, qui déferle et emporte tout avec elle. Importe ce débordement qu’il devient chaque jour plus compliqué de taire. Incontinent des sentiments.

Importe qu’il en devient difficile de faire semblant, impossible de taire à présent. Alors venir. Alors venir jusqu’à toi et déposer ce fardeau dont tu ne voudras pas. Qu’importe. Je ne te demande pas de m’aider à le porter -à deux, il en deviendrait moteur et bonheur, léger et apprécié. Je ne te demande pas d’y toucher. Mais permets-moi, simplement, d’aller jusqu’à toi le déposer.

Je ne veux, ne peux plus continuer ainsi, à tourner et tourner des sentiments qui défilent intensément. Ne peux plus continuer à faire semblant. Alors j’irai. J’irai jusqu’à toi et, au seuil, déposerai mes mots. Qu’importent s’ils ne trouvent pas de terreau. Qu’ils sèchent et racornissent en moi s’il le faut : au moins ne seront-ils plus ces clandestins, parasites imposants s’interposant devant chacun de mes regards, chacune de mes pensées. Permets-moi d’exprimer.


J’irai jusqu’à toi et déposerai mes mots devant ton seuil. Sourirai de ta réponse que d’avance je connais. Laisserai l’espoir saigner dans un recoin, jamais tout à fait tué -je le connais, je le connais bien celui-là et je sais qu’il ne disparaîtra pas tout à fait. Mais du moins serais-je allégé du fardeau du secret.

J’irai jusqu’à toi et déposerai mes mots devant ton seuil. Sourirai de ta réponse et m’en repartirai. A peine plus léger -mais, c’est là tout l’essentiel, à peine mais réel.

Cesser de boiter

Au fond je suis un peu paumé et tu l’as bien deviné. Ne l’aurais-tu fait que je te l’aurais avoué. Mais ne l’aurais-tu fait que tu n’aurais été tout à fait toi, n’est ce pas ? Alors selon les fois je me tais ou bien confirme, de loin en loin, ce que tu ne sais que fort bien.

Et pour le savoir, pour l’avoir lu dans mes mots et mon regard, pour l’avoir su et tendu la main… Tu ignoreras toujours un peu à quel point cela m’a fait du bien.


Je t’aime, c’est certain. Et au-delà de ça, crois moi tu m’aideras. Sans même, peut-être, le vouloir ou t’en rendre compte. Je sais déjà que cela ne te pèsera pas, tant les choses sont simples avec toi.

Les sourires et les mots, la bonté que tu respires et cet intérêt vrai qui souvent font défaut.


D’aucuns diraient que ce sont là des qualités de femme, de mère même. Je ne doute pas que tu feras une mère épatante, que les enfants que tu souhaites auront la chance de grandir dans ton foyer.

Je ne cherche pas de substitut maternel mais gentillesse, amour et attention. Des mots simples pour des traits bien idéaux, s’il faut en croire la plupart. J’ai trouvé cependant, de temps en temps, des hommes et des femmes qui étaient ainsi. Ceux là font partie de ma vie : crois moi, lorsque je les ai croisé, j’ai su qu’il m’en faudrait beaucoup pour les lâcher.

Mais jusque ici, aucun qui ne m’ait dit oui. Aucun chez qui trouver l’envie partagée de marcher main dans la main. Jusqu’à toi. Alors merci.


Je ne sais pas plus, toujours pas où le vent me mènera. Ce que je ferai demain, le mois ou l’an prochain, sans parler d’où cela sera.

Mais je sais, je crois, que cela se fera avec toi. Et cela me suffit déjà.

Je sais, j’ai toujours su que le monde avait beaucoup à offrir. Et, je ne vais pas me mentir, j’en ai bien profité déjà. Cela continuera. Mai avec toi je me sens, plus que jamais, capable de le saisir.

Ce n’est pas qu’une question d’être accompagné. Je ne veux pas vivre mes plans, mes projets, avec toi en soutien, en béquille à mes cotés. C’est bien plus et bien au-delà. C’est marcher, de front main dans la main. C’est te suivre en des endroits, des idées que je n’imagine encore même pas et t’en faire découvrir à ton tour.

C’est frayer ensemble, binôme élégant, duo gagnant où je cesse d’aller boitant. Où l’on cesse, peut-être, de boiter séparément.

Je sais certaines de tes blessures et tes fêlures. Tu te dis heureuse avec moi -et le plus souvent, je l’avoue vraiment, j’ai du mal à comprendre pourquoi. Mais tu dis que je t’apaise et réponds, sans le vouloir, à des questions qui pèsent. Tant mieux. Cela me flatte évidement, me plaît même si j’ignore comment.

Je te réponds volontiers que la réciproque est vraie.


Bon sang ensemble il me semble que l’on pourrait tout conquérir.

Toi à mes cotés, bien sur que je me sens apaisé. Il me suffit parfois de te regarder pour trouver une idée. Pour calmer une question qui s’est faite foret dans mon esprit inquiet.

Pour sourire, simplement, profiter du présent. Pour envisager même de penser à l’avenir.


J’ignore où cela ira, jusqu’où cela durera. J’ignore si nous bâtirons un foyer partagé, si c’est ensemble que nous serons parents et si nous nous accorderons sur un « oui, avec toi ».

Je ne m’inquiète pas, plus, de cela.

J’ignore encore beaucoup de tes projets, des chemins envisagés et s’ils sont fixés. Je crois qu’ils se construisent un peu chaque jour, se font et défont au hasard de tes envies et leurs détours.

Et comme je ne sais pas non plus ce que seront les miens, du moins peut-on essayer qu’ils soient communs.


Je sais que tout peut cesser, que rien n’est jamais acquis. Que tu peux te lasser, qu’un jour il arrivera peut-être où tu seras partie. Que moi aussi, bien qu’incapable de l’envisager aujourd’hui, je pourrais ne plus y trouver mon compte ou mon bonheur, me lasser de ce nous et vouloir chercher autre et ailleurs.


Je n’en accorde que plus de prix à chacun des moments.

Avant toi, j’allais boitant. J’ignore si je ne trébucherai pas à nouveau. Dans le doute, je plonge et je profite. J’expose à ton coté mes ecchymoses et mes ratés : je sais tes mots, tes mains capables de les panser. De me tendre en souriant la perche et le miroir de contes charmants. Ceux qui disent continuent, disent la valeur et le prix que tu portes à ma compagnie. Et donc, sans toujours t’en rendre compte, l’améliorent et l’harmonisent.

J’ignore encore où je vais, où j’irai. Je sais être toujours un peu paumé. Mais auprès de toi ce qui ressort c’est avant tout de n’avoir plus peur. De savoir que l’objectif n’est peut-être pas atteint, pas même visible au loin et largement inconnu.

Mais, quand tu es là, je sais être sur le chemin. Je sais que demain peut venir et sera bien, que j’avancerai le regard haut, aimable et curieux, capable de se poser loin.

Je sais même, te dire à quel point je sais tes capacités à me faire du bien. Je sais qu’un jour, tu pourras partir. Que le duo pourra se défaire et chacun reprendre une autre voie sur le chemin. Que je saignerai ce jour, peut-être plus que jamais. Mais que j’aurai cessé de boiter. Que toi partie, je continuerai d’avancer bien.

Bien sur que je suis paumé et tu le sais bien. Bien sur que ce n’est qu’avec toi que j’ai l’impression, enfin, de décerner une voie, un chemin. Que je peux dire mes incertitudes et le manque criant de signalisation sur les sentiers tortueux de la vie. Que je peux dire à quel point les miens semblent ardus, obscurs et hasardeux.

Et parce que je peux le dire à présent, parce que je confie mes doutes à ton attention. Parce que tu m’offres en retour non pas seulement tes lumières mais bien la certitude que les miennes nous éclairent, qu’il me suffit de le savoir et le voir.

Alors je sais qu’un jour si nos vies doivent diverger, si l’un de nous part et si tu n’es plus à mes cotés. Je sais que ce jour, pour tous tes bienfaits et tout le chemin déjà fait, je sais que je ne perdrai pas la vue. Que je poursuivrai, fort et serein, même blessé -cela est certain- même un moment désorienté.

Mais plus paumé.


Pour tout cela, tu ignores à quel point je te remercie. Savoir que si avant toi je ne vivais pas, à présent c’est bien le cas et après toi je le pourrai.

Pour autant, ne crois pas que cet après soit mon projet ! Non, je n’envisage pas ma vie sans toi -je sais, en dernier recours que si cela doit être cela pourra. Et tout porte à croire que nous marcherons longtemps main dans la main. Tout me porte, de plus, à l’espérer.

Et c’est un autre cadeau que tu as su m’offrir : un chemin partagé dont nul ne semble voir encore la fin.

Communion : se ressourcer à leur présence

Les voix se taisent ensemble, le ton baissant lentement. Il en est toujours un qui traîne plus longuement, sans s'apercevoir qu'il en fait trop, qu'il s'impose un peu sur l'eau du choeur. Sourires des membres qui s'en amusent le plus souvent.


Elle grimace un peu intérieurement au credo. Elle ne croit pas à tous les mots. C'est identique en nombre de prières et de chants. Prononcés dans l'ensemble sans jamais vraiment croire au sens.

Non, elle ne croit pas en ce Dieu Tout Puissant ni en son Fils ressuscité. Mais elle croit en l'ensemble de ces gens bienveillants, croit avec eux, en eux à la bonté.

En la bienveillance et la confiance qui s'en dégagent lorsqu'ils psalmodient ensemble.


Alors, s'il existe vraiment ce Dieu dont ils parlent tant, s'il est Amour comme on ne cesse de le répéter, elle prend le pari qu'il saura pardonner. Qu'il comprendra les mots faux pour les actes vrais.


Car à défaut de croire elle s'efforce de pratiquer. Non pas tant les prières, le chapelet ou la récitation le soir au pied du lit : seule elle ne prie pas, refusant de mettre en scène une mascarade au creu dénué de sens.

Mais à défaut de croire et prier elle s'efforce de pratiquer. La bonté. La paix et l'amour irrigués, irrigants chacun de ses gestes au quotidien. Ou presque. Elle est loin d'y réussir et s'agace souvent, détourne le regard où elle aurait pu tendre la main. Elle le sait bien. Essaie de faire les efforts qu'il faut bien. Devenir quelqu'un de bien.

Il lui semble qu'il y a quelque part la même idée dans celle de vivre en chrétien. Alors elle rejoint la messe et s'y trouve bien.

Trouve sa place auprès des autres. Se réchauffe à leur foi, peut-être. Se réchauffe à l'assemblée, appartenant sans jugement au groupe occupé à prier.


Il y a eu des années avec et des années sans. Elle regrette l'évidence, enfant, où elle ne se posait pas la question de la foi. Cela semblait être et peu importe si l'on ne comprenait pas.

Un jour, enfant toujours, adolescente peut-être, la question s'est posée. Et la réponse y fut trouvée : elle n'avait pas la foi. Ne croyait pas.

N'a jamais, depuis, cru en quoi que ce soit. Ni divinité ni toute puissance, ni être ni super-conscience.


Adolescente alors, elle avait cessé d'y participer. Le manque de foi, la certitude de n'avoir pas le droit. Elle se sentait de trop au milieu des prières et des déclarations qui l'apaisaient autrefois. Le manque de foi s'était fait intense et les messes étaient, toutes, le rappel de son incapacité.

Elle aurait aimé croire. Puiser dans la foi courage et volonté. Cela lui était refusé.

Mais n'avait cessé de le dire qu'elle croyait en l'homme. En la foi, celle là même qu'elle ne possède pas. Peut-être que Dieu n'existe pas ; mais la foi, elle, est palpable et ne se discute pas. Et, force de conviction d'un ensemble partagé, peut faire et défaire l'humanité.

Elle sait les horreurs qui ont été commises en son nom. En toute bonne foi et conviction parfois. Bien sur tout n'est pas rose et c'est un flot qui peut noyer aussi bien qu'irriguer.


L'inconfort surpassant le réconfort qu'elle y trouvait auparavant, elle s'était éloignée de tout ça. Avait cherché ailleurs, d'autres groupes et communautés, l'amour et l'amitié qui toujours semblaient lui manquer.


En revanche, n'avait jamais cessé de pousser les portes des églises. Les a toujours aimées, pour la sérénité. Même vides, même solitaires. En vadrouilles et chemins, elle s'arrête souvent pousser la porte des bâtiments. Closes, elles lui laissent une déception douce que l'on n'attendrait pas chez cette athéiste convaincue, quelque peu nihiliste si l'on creuse et dont le quotidien semblait bien loin de celui des Chrétiens.

A défaut de prier, elle aime s'y poser. Mains jointes sur les bancs désertés, saluant parfois une mamie agenouillée ou, selon les lieux et les moments, quelques touristes étrangers. Elle s’assied en silence et laisse passer le temps. Elle dit qu'il y a dans les églises un important potentiel de ressourcement. Que tous ces chants, toutes ces déclarations répétées, tous ces espoirs et cette foi toujours maintenue, même dans les moments les plus noirs, doivent avoir imprégné les murs et l'air que l'on y respire. Elle dit que les églises sont des lieux de paix.


Un jour, adulte, à force de s'y arrêter, est-elle tombée sur une messe. Y a assisté, bien plus que participé. Alors, plus que l'inconfort adolescent, c'est bien la douceur, la chaleur qui se sont fait touchants.


Depuis, elle y revient régulièrement. Elle puise, comme enfant, l'amour et la sérénité dans ces cérémonies cadrées.

Elle choisit bien sur ses églises, ses communautés. Mais aime s'y plonger, partager. Les moments de foi sont des moments d'union.

Même sans y croire, se sent-elle incluse, accueillie. Elle planque ses doutes et ses débris ; pour le reste, les bras sont ouverts et les sourires le plus souvent sincères.

Il y a de l'amour dans ces communautés, dans leurs manifestations tranquilles, sans grandiose ni élites. Elle ne recherche pas les grandes messes cérémonielles mais la régularité de la communauté.

Elle retourne à la messe régulièrement et, avec le recul, ne saurait dire si c'est prier vraiment. Communier, simplement.


Elle aime toujours autant le geste de paix, songe-t-elle en enlaçant sa voisine. Elle aime l'accolade ouverte et franche offerte aux inconnus, pour le bonheur de l'étreinte partagée.

Elle se dit, peut-être, qu'Amma n'a rien inventé. Que l'on s'ouvrait les bras dans les églises depuis des années. Qu'Amma n'a rien inventé sinon sortir des murs et des moments déterminés, autorisés.


Elle aimerait que les Chrétiens portent partout le geste de paix. Ouvrent leurs bras et leurs coeurs pour transmettre cette paix du Christ, rituellement murmurée à celui qui partage l'étreinte. Une paix d'amour et de bienveillance. Il lui semble que tout ceci est humain, ou devrait l'être, bien avant d'être religieux ou chrétien.



Alors elle ouvre ses bras dans l'église, enlace et accole les voisins, d'un sourire qui se veut foyer et serein.

Et répète le geste au dehors. Enlace ses amis, ses proches et ceux qui le veulent bien. Donne accolade en au-revoir, en réponse au chagrin, parfois sans autre raison que le plaisir de partager l'étreinte.

Elle aimerait faire passer dans le geste tout l'amour qui l'inonde. Tous ses souhaits de bonheur et de bien. Elle aimerait que l'étreinte soit confiance et foyer. Aimerait offrir entre ses bras un espace où être soi et se savoir aimé.

Elle aimerait faire passer l'idée, aussi, dans tous ses gestes au quotidien. Dire l'amour et l'amitié. Dire tout le bien qu'elle ne peut que souhaiter.

Il lui semble parfois que l'amour est un fleuve immense et invisible, un rayonnement qui déborde d'elle sans qu'elle n'y puisse grand-chose. Elle aimerait qu'il réchauffe, qu'il serve à quelque chose.


Il lui semble parfois que son coeur déborde et manque tout à la fois. Qu'elle peut, qu'elle ne peut faire autrement qu'aimer, embrasser le monde et ne poser qu'un regard le plus bienveillant possible.

Oh, elle n'ignore pas la colère. La rancoeur et même, parfois, le mépris. Mais elle essaye de faire barrage à ces sentiments pourris. Qui de toute façon s'effacent le plus souvent, pour la même situation, sous la douleur et la déception. Les hommes déconnent et s'arrangent le plus souvent pour en souffrir d'eux mêmes ou s'entraver dans leurs peurs et leurs rancoeurs.

Sans pouvoir toujours le pratiquer, elle ne souhaite que le bien. Que du bien, à tout un chacun.

Alors elle se pose le dimanche auprès de pas-tout-à-fait-les-siens. Et poursuit parfois l'aventure -un peu clandestine, un peu simulée mais pourtant vraie, tellement vraie- en accompagnant au-delà des cérémonies.

Elle a rejoint, pour quelques jours, des communautés ouvertes de religieux accueillant pour des séjours et retraites. S'est laissée bercée par le rythme lent, récurrent, d'une vie dans la foi et le don de soi. A fait taire, un peu, la voix disant qu'elle n'y avait pas le droit. Si la foi, le fond n'y était pas, devait-elle se punir doublement en se privant des formes ?

Elle trouvait dans ces moments la paix qui lui semblait ailleurs refusée.

Elle avait rejoint des retraites et des rassemblements. De prières et de chants, de discussions et de gens. Elle savait qu'elle mentait. Mais le sourire et la chaleur étaient vrais.


Alors elle portait son âme assoiffée aux flots d'amour et de bonté. Parlait, chantait, récitait et communiait. Ne se sentait jamais aussi bien accueillie et aimé qu'au sein de ces communautés.

Parfois, la lancinait le constat de se sentir le mieux aimée auprès de ceux à qui elle mentait.

Mais la douleur était douce, en comparaison de l'autre. De l'aridité. De la tristesse et de la solitude du monde vrai. Loin de l'amour et de la bonté -ceux là étaient trop rarement croisés.

Il lui était impossible de se sentir seule à l'église. Au dehors…


Débordant d'amour il lui semble souvent se dessécher du dedans. Quémander, avoir à l'intérieur un espèce de grand chien aux yeux tristes attendant le moindre signe d'attention, de tendresse.

Elle se sait assoiffée. Le planque bien le plus souvent. Après tout, elle est celle qui s'efforce de donner.

Elle reçoit volontiers. Laisse les autres l'aimer, l'entourer, la choyer. Et ne vient pas quémander. Il lui semble parfois que tous ses proches, ceux-là même qui l'aiment et disent être là, ne pourraient que s'enfuir en comprenant l'état du désastre intérieur et l'ampleur des vides à remplir. Elle sait qu'il faut avoir beaucoup à offrir pour espérer suffire.


Alors elle donne et reçoit. Sans limite et sans contrepartie.

Et connaît la solitude des amours sans retour. Du spectacle quotidien de ceux là qui ne se veulent pas de bien. Qui railles et maudissent leurs voisins. Elle saigne un peu chaque jours de la mesquinerie des humains. Aide où elle peut, quand elle le sent bien.

Aimerait parfois qu'on lui prenne la main. Avancer accompagnée. Tracer à plusieurs les chemins de bonté, dont l'exigence laisse parfois brisé le cantonnier isolé.


Alors elle retourne à l'église et ponctionne cet amour qui y rayonne.

Bien sur tout n'est pas vrai. Bien sur elle est ce qui est peut-être le plus faux. Elle le sait. Et après ?

Elle vient communier comme l'on ferait le plein. Se ressourcer, s'apaiser. Se dire qu'il existe ces moments de bonté où l'accueil est évident, l'unité spontanée. La solitude oubliée pour un temps.

Alors elle chante et va communier. Pour la présence et la paix. Pour en sortir le pas léger. Et continuer.

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