Est ce qu'on s'est perdu en cours de route ?

T'as perdu la route, déjà, et ce n'est pas lié qu'aux derniers mois. Bitume et forêts, passeports et voisinages, l'impression d'avoir échangé l'errance pour les sentiers balisés. Lissés. Policés.

C'est perdre un peu de ton identité, du moins tu le croyais, du moins tu le voulais.
C'est temporaire mais pour combien d'années ?


Et t'as tout autant perdu les gens. Un peu loin, un peu distants. C'est toujours toi qui te barre, faut dire, mon gars faudrait voir à pas trop leur en vouloir. Dernièrement tu ne retombes plus non plus, ne creuse plus de trou même temporaire, petites tanières sociales élémentaires qui se tissaient autrefois un peu partout.


Le retour du putain de sentiment de solitude. Vieux compagnon que t'espérais largué pour de bon, mais de ces ex un peu collants qui débarquent toujours dans les creux, pile quand tu galères au rebond.

L'impression d'avoir perdu à la fois l'errance et les ancrages. C'est aussi con que ça sonne en image.
Il reste quoi, alors ? Ni l'allant ni les liens, c'est à peu près rien. Posé là sans trop savoir comment c'est arrivé, comment on s'est laissé englué, sans même se laisser entourer. Un peu au bord de la chaussée, un peu au bord de la nausée.


Ça a été écrit mille fois et vécu des milliers. Un jour tu te réveilles et t'es vieux. T'as perdu tes rêves comme autrefois tu perdais ton sang-froid.


Ce putain d'âge. Vieillir sans y toucher, se retourner sans trop savoir si l'on a vraiment vécu ses plus belles années. Trop occupé à chialer, angoisser et rêver.

Un jour t'es vieux et c'est passé. Oh, peut-être pas vieux tout à fait, t'inquiètes t'as encore ton temps à tirer, à trimer.

Mais la jeunesse est passée en te laissant un petit goût amer d'inachevé. Te restent des souvenirs pas réalisés et du gras difficile à ôter.


Bien fait ! Fallait probablement choisir plus tôt entre l'errance et l'ancrage. T'as voulu jongler, les deux t'ont échappé. T'as même cru naviguer accompagné ! Tant de naïveté, on croit rêver.


Reste le vieux collier qui gratte le cou pelé, presque le chien de la fable mais encore trop con, incapable de s'y faire.

Ni chien ni loup, t'es socialement quelque chose du bâtard galeux qui tourne autour des poubelles.

Les grands yeux qui envient la chaleur du panier et la sécurité du collier assumé, sachant bien que tu ne t'y plierais jamais tout à fait. Les grands rêves terrifiés qui ne franchiront pas les bois, qui n'oseront pas s'ensauvager. Quelque chose du roquet à mamie, qui tire fort sur la laisse et se planque nerveusement si on te l'enlève.



C'est tellement drôle. Ça a été écrit mille fois et vécu des millions, devenir tout ce que tu ne voulais pas et apprendre à t'en contenter. C'est jamais un combat à fracas. Plutôt l'infiltration lente dans la charpente. Un jour t'as plus la force. Ou la motivation. A quoi bon ?

Alors tu colmates et tu rebouches les rêves qui ne sont plus tenables.


Ca aurait pu se béquiller mais t'es pas bien entouré pour ça. T'as déjà oublié ? Le putain de sentiment de solitude. T'es même plus entouré, même plus du brouhaha passager. Et pas plus ancré.



Y'a des échecs qui n'ont eu besoin de personne pour bien se passer. Parce qu'ils ne sont jamais tout entiers, c'est là qu'ils gagnent et finissent par s'imposer. Sans heurt ni fracas. Comme un refroidissement de soi, un attiédissement de soi. T'es pas éteint, t'as bien gardé quelques trucs sur lesquels compter. Un peu de valeurs, un peu d'engagements, un minimum de chaleur.

Ca perd son sens mais t'en donne encore assez pour qu'il soit dur de tout balancer.
T'es au putain de SMIC du sens de la vie.

Qui érode les angles et enfouit les rêves à la con sous la moquettes d'un quotidien presque tout confort.

Presque. Parce que comme t'es nul même à ça, c'est même pas tout confort. Tu seras jamais bien au panier, et t'envie les collègues qui s'y sont lovés. T'as plus les tripes pour courir en forêt, et tu doutes les avoir jamais eu. Tu n'erres pas plus que tu ne t'es posé. T'es juste là. Et ça ira.