Est ce qu'on s'est perdu en cours de route ?
Eclats de vies - Par Gabrielle - mercredi 13 mai 2020 - Lien permanent
Est ce qu'on s'est perdu en cours de route ?
T'as
perdu la route, déjà, et ce n'est pas lié qu'aux derniers mois.
Bitume et forêts, passeports et voisinages, l'impression d'avoir
échangé l'errance pour les sentiers balisés. Lissés. Policés.
C'est perdre un peu de ton identité, du moins tu le
croyais, du moins tu le voulais.
C'est temporaire mais pour
combien d'années ?
Et
t'as tout autant perdu les gens. Un peu loin, un peu distants. C'est
toujours toi qui te barre, faut dire, mon gars faudrait voir à pas
trop leur en vouloir. Dernièrement tu ne retombes plus non plus, ne
creuse plus de trou même temporaire, petites tanières sociales
élémentaires qui se tissaient autrefois un peu partout.
Le
retour du putain de sentiment de solitude. Vieux compagnon que
t'espérais largué pour de bon, mais de ces ex un peu collants qui
débarquent toujours dans les creux, pile quand tu galères au
rebond.
L'impression d'avoir perdu à la fois l'errance
et les ancrages. C'est aussi con que ça sonne en image.
Il
reste quoi, alors ? Ni l'allant ni les liens, c'est à peu près
rien. Posé là sans trop savoir comment c'est arrivé, comment on
s'est laissé englué, sans même se laisser entourer. Un peu au bord
de la chaussée, un peu au bord de la nausée.
Ça
a été écrit mille fois et vécu des milliers. Un jour tu te
réveilles et t'es vieux. T'as perdu tes rêves comme autrefois tu
perdais ton sang-froid.
Ce
putain d'âge. Vieillir sans y toucher, se retourner sans trop savoir
si l'on a vraiment vécu ses plus belles années. Trop occupé à
chialer, angoisser et rêver.
Un jour t'es vieux et c'est passé. Oh, peut-être pas vieux tout à fait, t'inquiètes t'as encore ton temps à tirer, à trimer.
Mais la jeunesse est passée en te laissant un petit goût amer d'inachevé. Te restent des souvenirs pas réalisés et du gras difficile à ôter.
Bien
fait ! Fallait probablement choisir plus tôt entre l'errance et
l'ancrage. T'as voulu jongler, les deux t'ont échappé. T'as même
cru naviguer accompagné ! Tant de naïveté, on croit rêver.
Reste
le vieux collier qui gratte le cou pelé, presque le chien de la
fable mais encore trop con, incapable de s'y faire.
Ni chien ni loup, t'es socialement quelque chose du bâtard galeux qui tourne autour des poubelles.
Les grands yeux qui envient la chaleur du panier et la sécurité du collier assumé, sachant bien que tu ne t'y plierais jamais tout à fait. Les grands rêves terrifiés qui ne franchiront pas les bois, qui n'oseront pas s'ensauvager. Quelque chose du roquet à mamie, qui tire fort sur la laisse et se planque nerveusement si on te l'enlève.
C'est
tellement drôle. Ça a été écrit mille fois et vécu des
millions, devenir tout ce que tu ne voulais pas et apprendre à t'en
contenter. C'est jamais un combat à fracas. Plutôt l'infiltration
lente dans la charpente. Un jour t'as plus la force. Ou la
motivation. A quoi bon ?
Alors tu colmates et tu rebouches les rêves qui ne sont plus tenables.
Ca
aurait pu se béquiller mais t'es pas bien entouré pour ça. T'as
déjà oublié ? Le putain de sentiment de solitude. T'es même plus
entouré, même plus du brouhaha passager. Et pas plus ancré.
Y'a
des échecs qui n'ont eu besoin de personne pour bien se passer.
Parce qu'ils ne sont jamais tout entiers, c'est là qu'ils gagnent et
finissent par s'imposer. Sans heurt ni fracas. Comme un
refroidissement de soi, un attiédissement de soi. T'es pas éteint,
t'as bien gardé quelques trucs sur lesquels compter. Un peu de
valeurs, un peu d'engagements, un minimum de chaleur.
Ca
perd son sens mais t'en donne encore assez pour qu'il soit dur de
tout balancer.
T'es au putain de SMIC du sens de la vie.
Qui
érode les angles et enfouit les rêves à la con sous la moquettes
d'un quotidien presque tout confort.
Presque. Parce que
comme t'es nul même à ça, c'est même pas tout confort. Tu seras
jamais bien au panier, et t'envie les collègues qui s'y sont lovés.
T'as plus les tripes pour courir en forêt, et tu doutes les avoir
jamais eu. Tu n'erres pas plus que tu ne t'es posé. T'es juste là.
Et ça ira.