Il n'y croyait plus. Il ne l'attendait plus, du moins, car personne, semble-t-il, ne pouvait cesser d'y croire et de l'espérer. Mais cela s'était fait attendre. Au point de n'être plus attente, étirée jusqu'à disparaître au profit d'un espoir ténu mais tenace. Tout finissait peut-être par arriver. Cela reviendrait, il fallait espérer.

Les jours passaient, chacun lentement. Qui, accumulés on ne savait trop comment, avaient fini par former des années. Les choses filaient, sans y sembler.

On le voyait traverser, sourire aux lèvres et plein de projets. Il riait assez, vadrouillait beaucoup. Vivait entouré. Il avait cette bande d'amis réguliers, récurrents dans ses sorties et son emploi du temps. Les autres éparpillés, toujours prétextes à s'y déplacer -il aimait bouger, rouler et plus encore quand il s'agissait d'aller voir les proches éloignés. On pouvait l'apercevoir en soirées, en direct ou sur les photos qui ne manquaient pas de s'exposer après. Souvent bien entouré.

Prendre de ses nouvelles tenait souvent du bol d'air -ce n'était pourtant jamais du vent. Il rivalisait d'idées, variées et cohérentes, d'une continuité délurée dont il aimait rire en pensant toujours à la suivante.

Il semblait aller bien. Il allait, c'était certain. D'aucuns louaient sa présence, on lui disait parfois merci de sa simple compagnie. Disait qu'il apportait le sourire et répétait qu'il enrichissait.

Il ne savait jamais trop quoi redire. Haussait les épaules, répondant que ce n'était rien, mais qu'il était heureux s'il avait pu être utile à quelque bien.

Il semblait aller bien. Oh, il avait parfois ces coups de cafard qui vous tombent dessus sans trop d'égards. On l'avait trouvé parfois, roulé en boule dans son canapé. Il le disait parfois, quand on ne comprenait pas son silence où que ses réponses se faisaient plus sèches et moins enjouées. Il râlait parfois, informait quelques proches qui ne manquaient pas de le rassurer, de le réconforter. De l'appeler et de l'inviter. Oui, il était entouré. Assez pour se permettre d'en parler, quand il cessait un peu d'aller.

Pas systématiquement. Il n'aurait pas fallu, non plus, que ce soit trop fréquent. Régulier, par récurrent. Les uns savaient. Tous savaient qu'il pouvait être là, présent, pour chacun et tout le temps.

Il allait, souriant et bien entouré. Il avait ses amis, et même de temps en temps quelque fille pour l'aimer. De temps en temps. Jamais longtemps. Ils avaient renoncé, ses amis, à trop le questionner. Il leur présentait parfois quelqu'un. Venait seul le plus souvent.

En fin de soirée, il lui arrivait de s'épancher, les yeux un peu brillant, sur telle ou telle demoiselle qui lui avait tapé dedans. Il arrivait même qu'il se présente avec elle à la soirée suivante. Le plus souvent non. Dans un cas comme dans l'autre, les yeux ne brillaient plus. Un certain enthousiasme qui s'était tu.

C'était dur, pour ceux qui savaient voir, de le voir au bras d'une jolie nana, le sourire aimable et le regard éteint. Ca en disait long, et pas vraiment du bien.

Il allait, souriant et bien entouré. Il semblait aller bien, hormis parfois quelques coups de mou du genre qui arrivent à tout un chacun.

Il allait, sans allant et seul à crever. Il ne disait rien, et il faisait bien. Pourquoi les inquiéter ?

Il allait seul et le savait bien. Il ne disait rien.

Il savait n'être pas tout à fait seul. Il se savait entouré, savait ses cercles regorger d'amis fidèles et sans compter, de ceux qui l'aimaient et le disaient, de ceux qui même en témoignaient.

Ils étaient là, c'était un fait et cela faisait beaucoup. Mais tout ?

Il allait seul et le savait bien. Il connaissait les failles et elles étaient de taille. Toutes les fois où on lui avait dit « je suis là pour toi » sans que cela n'évoque chez lui le moindre écho. A peine la sympathie, la reconnaissance de se savoir aimé.

Mais reconnu ? Aimé pour ce qu'il faisait, montrait. Etait ? Il y avait là une autre histoire.

Il ne se cachait pas. Il dissertait volontiers sur sa vie et ses pensées. Se confiait sans mal, énonçait tout de go ce qui allait bien ou mal.

Aux amis, c'était assez. Et puis, hormis de loin en loin, il n'y avait pas tant d'occasions, pas tant matière à s'étaler. Ainsi ils restaient. L'assuraient de leur présence et de leur amour, leur amitié.

Tant qu'il n'étalait pas trop tout ce qui le blessait, tant qu'il ne leur renvoyait pas ce qui jamais vraiment n'allait, tant que ce qui clochait chez lui pouvait rester planqué… Tout allait. Et tout irait. Il serait aimé et entouré, choyé et conforté.

Il allait, souriant et bien entouré. Il appréciait ses amis, goûtait sincèrement la chaleur de leur amitié.

Et lorsque l'une d'elle -ou l'un d'eux, c'était arrivé aussi- envisageait de s'approcher…

Ma foi, il s'était affiché déjà avec une fille au bras. Cela pouvait marcher, semblait-il en tous cas.

Il allait, souriant et bien entouré. Galochant et bien enlacé.
Intérieurement gelé.

Il savait ce qui n'allait pas, sans savoir tout à fait pourquoi.

Il savait chercher au dehors l'écho de ce qui le rongeait du dedans. Un regard. Une posture. Un quelque chose dans le rapport au monde et à ses habitants. Un quelque chose qui l'éloignait tout le temps.

Cela passait en amitié. Il attendait de ses amis de bons mots et des loisirs, quelques verres et des soirées à rire. N'espérait pas toucher à l'intime et le sentir partagé.

Cela bloquait bien sur dès que l'une voulait s'approcher. L'envisager.

Il acceptait parfois, rien que pour l'effet. Rien que pour essayer, car au fond il n'avait jamais tout à fait renoncé. Ni à aimer, ni à être aimé. Ni surtout à trouver chez quelqu'un l'écho de ce qu'il cherchait si bien, de ce qu'il ressentait si fort en dedans. Alors dès que cela paraissait possible il essayait. Parfois même il acceptait sans cela, cédait à des avances qui toujours pouvait faire plaisir à l'autre et promettre de bons moments partagés.

Il se réveillait la nuit, s'efforçant de ne pas bouger pour ne pas la réveiller, dans les insomnies de sa solitude accompagnée. Bien sur qu'il était bon d'être aimé. Et jamais par n'importe qui. Il respectait les femmes qu'il prenait dans ses bras, dans son lit. Dans sa vie.

Elles ne venaient jamais vraiment dans sa vie. Dans son quotidien, oui. Dans l'intimité de son ressenti…

Il avait cessé d'y croire ou du moins d'entretenir l'espoir. Il allait, seul et bien entouré. Il riait beaucoup, souriait plus encore. De ces sourires désarmants, d'évidente simplicité. Bien sur qu'il vous aimait. Tous -ou presque, faudrait pas déconner.

Il aimait. Et se sentait pour autant incapable d'aimer. D'aimer autrement. D'aimer autrement que les bras ouverts aux quatre vents. D'aimer autrement que globalement. Ce n'était pas tout à fait ça. Il aimait les gens. Et certains, tout particulièrement. Certains avaient son estime et son admiration, un amour pour le moins débordant.

Et lorsqu'il refermait ses bras sur le corps chaud de la femme qui partageait ses draps, il sentait bien qu'il aimait ainsi. Généreusement. Incapable d'aimer autrement. Incapable, lui soufflait quelque chose en lui, d'aimer vraiment.

Ses relations ne duraient jamais longtemps. Il se lassait. C'était horrible à penser, sans parler de l'avouer. Alors il trouvait autre chose. Des disputes. Des projets qui divergeaient. Quelque chose. N'importe quoi qui lui permette de s'évader. Il détestait ce terme et pourtant sans cesse y revenait.

Il n'y croyait plus sans avoir tout à fait cessé d'espérer. Entre temps il cheminait seul et bien entouré voire acceptait de faire un bout de chemin avec quelqu'un.

Aucun n'avait été inutile. Toutes l'avaient mené quelque part. A chacune, espérait-il, il avait apporté quelque chose.

Et toutes et chacune n'avaient chaque fois été envisagées comme un bout de chemin. Un bout dont, presque, il voyait déjà la fin. Il savait que cela irait plus ou moins loin. Puis cesserait. Que les chemins bifurqueraient. Qu'il n'aimait pas assez pour rester. Juste assez pour se poser, pour échanger et construire même s'il le fallait. Construire sans durer.

Il n'espérait pas grand-chose de plus. N'espérait pas, plus grand-chose de plus. Que quelques tronçons accompagnés sur un chemin bien entouré.

Il avait cessé de se préserver, d'attendre et d'espérer la vraie. Il avançait comme il pouvait, par a-coups et sans plan préparé. Saisissait les opportunités. Avançait et aidait, sans compter.

Offrait et recevait beaucoup d'amour. Il le disait, le savait.

Le grand, avec la capitale et tout le décorum, il ne planifiait plus sa vie comptant dessus.