Ce soir le monde est laid
Instantanés - Par Gabrielle - mardi 14 juillet 2015 - Lien permanent
Ce soir le monde est laid, tristement laid, cruellement laid. En ce soir il n'est rien, rien pour le sauver des atrocités qui le labourent et le façonnent.
Un de ces soirs où le sommeil a fui. Dormir serait accepter, se confier au monde à l'instant rejeté. Ce soir le monde est trop laid pour souhaiter y séjourner, y demeurer paix et volupté sous les draps veloutés. Trop laid pour plier à la nuit, accepter le repos du corps et de l’esprit, préparant la journée nouvelle annoncée.
Quels hasards déplacent-ils donc à ce point la focale ? D'où sort ce soir ce ressenti terrible et ancien -il fut autrefois récurrent- de la laideur d'un monde qui ne vaut pas d'y demeurer ?
Oh penser tout cela malgré le soleil et le sentier de la journée, la douceur du chat pelotonné et l'odeur légère du chèvrefeuille cueilli sur l'oreiller !
Les plaisirs simples ne peuvent pas ce soir effacer ni le dégoût ni l'effroi. Ce soir le monde est triste et laid, plus qu'il ne devrait être permis de le désespérer.
Bien sur il y a le contexte, la fin triste du roman poignant aussi bien que le quotidien dénué de sens d'emplois succédés jamais satisfaisants tout à fait. La biologie qui joue d'hormones et de minéraux. Le désarroi d'un temporaire assez répété, à la fois nécessaire aux désirs d'ailleurs et déstabilisant dans ses toujours envies de meilleur. La fin moult fois annoncée mais jamais tout à fait assumée de cette relation simple et si compliquée. Le vide à venir et les conflits qui précéderont, que l'on a déjà répétés. Tous les conflits du monde qui en profitent pour sembler émerger, clamer leur infinité, leur permanence et perméabilité à toute l'humanité. Les espoirs bernés des peuples et l'abandon déchirant des individus. Les larmes des uns, l'indifférence des autres et tout ce qui désespère d'être un de ceux, un de ces autres.
Ne cherchez pas. Aujourd'hui le monde est laid et la vie ne le mérite pas. Nul être ne mérite ça. Bien sur le soleil et les sourires, les beaux actes et le progrès. Aujourd’hui, pour moi, dans cette humeur sombre et détachée, ils n'ont pas droit de cité. S'effacent devant les atrocités ou juste l'atroce banalité. Rien de ce qui est ou a été ne pourrait aujourd'hui légitimer.
Aujourd'hui le monde est laid.
Ne mérite que la langueur, à moitié pleine de rancœur mais surtout tout à fait désespérée. A quoi bon ? Le monde est laid.
Je sais la beauté, la bonté. Je sais m'émerveiller avec la candeur enchantée des enfants et des innocents. J'ai souri, plus souvent qu'à mon tour. Joui du moindre des plaisirs, d'un souffle de vent sur mes bras et d'un visage illuminé, de l'odeur d'un bouquet et du bonheur visible du chien sur le chemin. Je sais l'exaltation des sens et de l'esprit, de l'âme aussi, offerte par ce monde unique où l'on habite.
Et après ? Aujourd'hui le monde est laid. Ne semble mériter au mieux qu'un affaissement nonchalant, une faiblesse éhontée, l'absence absolue de toute autre volonté que de rester, allongé sans désir ni satisfaction espérée.
Pourquoi pas ? Il n'est rien aujourd'hui que le monde offre ou promette qui vaille que l'on s'y arrête.
Le monde ou peut-être ce que l'on en fait, c'est vrai. Mais y changer quoi que ce soit semble aujourd'hui infiniment hors de portée.
A quoi bon ? Au mieux tout ne fera que recommencer. Au pire rien n'aura vraiment changé.
Alors où a pu se mener le combat, la faiblesse étend ses droits. Où l'on a pu se dresser, lever bruyamment le poing ou oeuvrer laborieusement sans chercher témoin, ne reste que la langueur et l'envie d'immobilité. Dénervé, légèrement écœuré, sans énergie ni volonté.
Avoir rendu les armes sans même y penser. Avouer, assumer son incapacité. Ne voir que l'inutilité.
A quoi bon ? Aujourd'hui le monde est laid.
Laideur morale évidemment car rien n'est reproché aux arbres ou à l'eau, à la chienne qui gambade insouciante et heureuse du sentier. Où quotidiennement ces spectacles m'enchantent, ils n'évoquent aujourd'hui rien qui tente, me laissent aujourd'hui tout à fait froid.
Incapable du moindre émoi.
Le monde est laid, comme englué dans une laideur diffuse et multiforme qui pose un voile sur l'entièreté, voile de laideur généralisée masquant toute beauté en particulier.