C’était un week-end de vin au soleil. Un week-end de beaux parents et d’enfants qui jouent dans l’herbe. Un week-end rempli de choses importantes comme aller à la boulangerie et commenter le Jurançon. C’était mieux que l’actualité, même ci celui-ci n’était pas trop sucré. Il y a des moments qui font du bien, des sourires francs et des éclats de voix. Ca monte au cours du repas, à mesure que les bouteilles descendent, que les sujets de conversation s’étendent. J’ai ri bien haut, à gorge déployée. Il y avait quelque chose de déployé. Déplié. Comme un grand drap blanc qui sèche à la brise de printemps. C’était autour et dans moi aussi, dans les sourires et le genou qui s’est fait oublier. C’était mieux d’ailleurs, car il fallait absolument aller voir le tracteur.



Une épopée, quand on a deux ans. Il y eu nécessité de draisienne et grands vacillements sur la chaussée -déserte, soyez rassurés. Il n’y a pas grand passage dans le hameau, boucle isolée qu’on aborde prudemment entre chaussée inégale, gravillons et passages de gibier.

Il y eu, comme dans toute épopée digne de ce nom, des épreuves aussi épouvantables que le chien du voisin dont les aboiements ont bien failli faire virer le véhicule au fossé. De grands discours argumentés sur les barrières de jardin et leur efficacité contre les canidés de l’autre coté. La science humaine a triomphé, momentanément.
S’étendaient encore la terre du chemin, les flaques et l’impossibilité d’y rouler. Heureusement l’aventurier prévoyant était bien chaussé. Les bottes en caoutchouc, en sus d’être bien pratiques à faire enfiler, ont témoigné de leur parfaite étanchéité. Nouvelle victoire de l’ingéniosité humaine -déclenchant par là même une légère jalousie chez la femme aux baskets humides, la draisienne gouttant sur l’épaule.


Déjà se profilait le monument recherché. Le trésor était à la hauteur de l’épopée. Et, comme tel, bien gardé, ceint d’orties vigoureuses d’un printemps bien avancé. Il y a toujours un deus ex à la fin, deux bras descendus du ciel pour porter le gamin et les grands pieds pour écraser l’ennemi sous notre juste furie.
La récompense s’offrait à nous et n’était que justesse, nous l’avions bien méritée. Bonheur et félicité ! Un vieux modèle de tôle verte un peu rouillée, capot rond et siège en métal ajouré. De gros pneus bien crantés, trop haut pour y monter sans un habile subterfuge d’étriers de mains.

Nous rentrions triomphants.

Méprisant revenir sur nos pas, choisissant toujours l’horizon et la route inconnue, nous avons entrepris la boucle du retour. Allongement démesuré du chemin mais qu’importe, Ulysse aussi a pris son temps sur l’Odyssée. Et la route à nouveau bitumée laissait la draisienne filer.
Piler -les bottes en caoutchouc ne font pas d’étincelles. C’est vrai que la fleur était belle, comme les mille autres dans le champ derrière. Alors celle là, on l’a cueillie. Et puis quelques autres aussi -plus tard, il y eut une orchidée magnifique au creux du fossé, mais celle là nous l’avons laissée.
On était un peu contrit de ne pas pouvoir toutes les nommer -cela fut demandé. On hasarda chacun quelques lieux communs, pâquerette et boutons d’or, décrétant de concert les clochettes -primevère officinale, primula veris, m’indiqueront plus tard les premières pages du net.
Grands sages vigilants à défaut d’érudits savants, on émit l’idée d’un bouquet pour la maman. Sitôt évoquée, sitôt adoptée, tiges bien serrées dans la petite main du héros .
Se posa l’épineux problème d’empoigner à la fois le bouquet et le frein, résolu par beaucoup de volonté et quelques fleurs écrasées.


Le monde est décidément fait de merveilles et l’aventure pour les observer. Un mini-quad électrique ! Jardin de délices aperçu en passant, plein de rêves hypnotiques. De ces magies insoupçonnées qui ont bien failli nous éloigner pour toujours de toute idée de retour.


Les tentations finissant toujours par être repoussées, la volonté triompha et l’on put reprendre la route, encore exultants de toutes ces découvertes motorisées. Ainsi avons nous regagné les rivages connus, annoncés par le break chargé de réhausseurs et le portail franchi comme en triomphe.



Tout le monde était enchanté -l’histoire oubliera les fleurs un peu fanées, retiendra l’offrande rapportée, trésor d’aventurier offert à l’être aimé. La mère un temps libérée, les grands-parents toujours prêts à s’extasier, le fils émerveillé de l’épopée. J’ai gagné un peu de légèreté.



Le fond de Jurançon n’avait pas tout à fait tiédi quand on est rentré.