Ils laissent passer deux mesures de clavier qui résonne, un peu formel sous les voutes de pierre.

Et les voix s'élèvent dans un bel ensemble. Sa voix à elle, léger alto sans grand niveau, se fond délicieusement dans l'écho qu'ils font vibrer. Ils connaissent bien les couplets : ce chant revient régulièrement.

Elle aime les chants. Aime lorsqu'ils sont ainsi vocalisés, de tout le groupe et sans autre objectif que d'exister. Nul ne juge le niveau. Nul ne grimace à ceux qui chanteraient faux -il y en a, d'ailleurs elle suppose souvent en faire partie. Ils chantent ensemble et le chant, le collectif accueille tout un chacun, avec ses forces et ses faiblesses. Les voix nasillardes et les coffres trop enthousiasmes. Les timbres divins qui n'auront jamais de solo sous les projecteurs. Et tous les autres, et tous ces autres assemblés autour d'un même projet, d'un même moment partagé. De ces moments qui n'existent que parce que partagés.


Elle ne sait plus bien où tout ceci à commencé. Se souvient des messes étant gamine : pas tous les dimanches, mais fréquentes tout de même. Ils y allaient en famille, la grand-mère au coté. Le grand-père restait au café, reniant depuis des décennies toutes ces bondieuseries. C'était un fait, c'était acquis. Avec le temps, les parents manquaient plus souvent qu'à leur tour. La grand-mère emmenait ses petits enfants, avec le plaisir calme des vieilles gens qui ont leurs habitudes, tranquillement.


Elle se souvient, enfant, de l'unité ressentie lorsque toute l'assemblée chante et récite. Notre Père, qui êtes aux Cieux. Elle connaissait les mots qui filaient, chaque fois, répétés sans surprise et jamais sans plaisir. Le plaisir même venait de la répétition, de l'assurance apportée par ces mots immuables. La grand-mère au coté pouvait en témoigner, répétant les prières depuis des années. Les prières c'était l'assurance, le flot du familier. Confiance et stabilité.


Elle se souvient tout particulièrement de l'assemblée qui se répond, donne la réplique à l'officiant dans un ensemble qui dément toute la distance et tout l'inconnu d'avec ces gens dont beaucoup ne se connaissaient, ne se fréquentaient jamais hors des murs.

Béni soit Dieu, maintenant et à jamais. Cela est juste et bon.

Pour Dieu elle ne savait pas trop, d'autant qu'il lui semblait que s'il existait il pouvait se passer de la bénédiction des hommes. Prières et credo, elle n'en comprenait pas toujours tous les mots.

Mais le sens importait peu, pour peu qu'ils soient récités ensemble. Bénis soient les hommes qui prononcent ces sentences, pensait-elle parfois, portée par la joie de la communauté. Car oui, ces mots là, ces gestes là étaient justes, étaient bons. Ils étaient partagés.

Ensemble. Il lui semblait impossible de se sentir seul en répondant ainsi, d'une voix unique formée de dizaine d'éclats. Ici l'isolement n'a pas sa place et, ne serait-ce qu'en ces moments fugaces, pouvait-on savoir et toucher n'être pas seul. Entouré, accompagné. Porteur et porté. Ensemble et intégré.


Dans les chants, prenait tout son sens le terme de communauté. Elle se souvient des regards posés sur les feuillets, de ceux qui connaissaient et ceux qui bredouillaient. Des sourires échangés lorsque son voisin se trompait, lorsque, quelques rangs plus loin, sonnait une voix par trop enthousiaste ou éraillée. Douce complicité, de tous âges partagés. Elle aimait croiser le regard des vieilles dames, pas celles qui jugeaient mais celle qui riaient de ces erreurs et crécelles, qui riaient sans malice.

Les chants c'était la communauté, avec ses individualités, leurs faiblesses et leurs qualités, toutes assemblées pour ce but commun, gratuit et aberrant dans le quotidien, de chanter ensemble et dire l'unité.


Parlant de ces moments d'illumination, qui seraient aberration de l'autre coté des portes : elle se souvient, enfant, du geste de paix. Ces étreintes et ces accolades qui transmettaient, palpable, un amour réel ou qu'elle aimait prétendre tel. Il y avait du bonheur dans ce geste répété aux voisins, aux rangs autour du sien. L'embrassade franche et le sourire aimable.

Et la paix passait. L'étreinte était l'Amour fait geste, fait chair. La fraternité d'individus isolés qui, à ce moment, s'aimaient. Sans doute que tout n'était pas toujours réel. Qu'il y avait de l'obligation et de l'habitude sans passion. Que le geste serait, sinon, bien plus communément offert et reçu passées les portes lourdes de solennité.

Elle s'en doutait. Refusait d'y penser. Acceptait et offrait des étreintes vraies, d'un coeur débordant d'amour et assoiffé de retour. Le geste de paix était un échange d'amour, qui ressourçait qui le voulait. Le geste de paix était l'amour et la paix faites chair, tout ce qui aurait du sous-tendre chaque échange et chaque relation humaine y compris la messe et les portes de l'église passées. Ce n'était pas le cas ; mais du moins pendant ces moments là pouvait-elle y prétendre.


Elle se souvenait de l'envoi, des chants d'espérance et de joie de ces moments qui vont clore l’événement. Il y a toujours de l'enthousiasme dans l'envoi, le terme même est un mot de choix. Toutes les messes ne le proposent pas. Elle se souvient de l'église où elle allait enfant, qui le chantait systématiquement.

Allez, dans la Paix du Christ. Ces derniers mots que prononçaient le prêtre résonnaient en elle longtemps après que leur écho se soit éteint dans les pierres. Elle se souvient, enfant, passer les portes de l'église, sortir à demi éblouie après l'obscurité du lourd bâtiment roman. Éblouie d'amour et de paix tout aussi.


Elle se souvient du seuil de l'église que l'on franchissait léger, léger. Apaisé. Vidé des craintes et rempli d'une confiance à la fois présence et douceur sans masse.


Elle ne sait plus bien ou tout à commencé. Mais enfant déjà, les messes étaient solaires. Porteuses de paix, d'amour et de luminosité. Familier et communauté, amour et sérénité. Peut-être tout ceci parvenait-il, ailleurs et sans raison particulière, à lui manquer.

Au point de mesurer le dessèchement, la soif et le désir ardent au flot jaillissant des prières et des chants.