Il est bien évidemment à noter que les paroles ici tenues n'engagent toujours que leur auteur.

Bien sur qu’il est beau d’aimer. L’attachement et la complicité, les attentes et les compromis, la tendresse et la jalousie, la volonté de présence et la capacité à se détacher.
Mais combien différent en est le sentiment amoureux !

Aimer c’est vouloir l’autre dans sa vie, envisager du temps avec lui, l’apprécier, aussi. C’est alimenter par l’autre un aimable feu intérieur et ronronnant.
Etre amoureux c’est espérer un mot, un regard, c’est se consumer, se détruire aussi, le savoir et y plonger volontiers.
Aimer est un poêle à bois. Tomber amoureux c’est avoir allumé un feu de joie.

Destructeur, insensé, ravageur. Mais lumineux, vif et puissant.
Où aimer est plus sain, plus serein, capable de construire et de produire –aimer, d’ailleurs, se construit dans la durée. Aimer permet de rayonner sereinement.
Tomber amoureux procède d’un embrasement spontané, éclaire par embrasement, haut et clair mais dévorant.

Aimer se construit dans la réciprocité.
Tomber amoureux détruit sans réciprocité.

Aimer commence parfois par une attirance, une sympathie. Puis se consolide et se construit et avec lui l’hôte et l’autre si l’amour est partagé. En cas contraire la page peut-être tournée, sans l’avoir même forcément remarqué, parfois amère mais toujours empreinte de légèreté, de liberté.
Tomber amoureux c’est être propulsé au plus haut, ouvrir les yeux au sommet sans rien avoir compris du sentier emprunté. Et s’écorcher en essayant de s’accrocher. Y reste-t-on au sommet ? Peut-être si le sentiment, l’embrasement est partagé. Ce cas-là, existe-t-il ?
Lorsque le cas n’y est pas… C’est une tempête où s’accrocher sans rien vraiment pouvoir diriger. Saisir une bouée, laisser passer et traverser une mer désespérée où l’on n’aperçoit ni même n’imagine aucune terre à venir.

Aimer se fait, volontairement, volontiers et, partagé, vous fait.
Tomber amoureux vous embarque à contre gré et, parfois, vous défait.
On peut apprendre à aimer. On prend conscience d’être tombé.

Aimer permet d’envisager, de se projeter. De proposer des projets communs, sans crainte et sans nécessité. Aimer c’est la volonté de poursuivre.
C’est avoir l’autre comme un bonus, un bénéfice avec qui s’améliorer, construire.
Il y a des envies et de la raison dans l’amour. Il y a de l'attirance évidemment, des résonances et du conciliant, tout un état qui s'apprend.

Tomber amoureux ne permet que de se projeter pour éviter de s’écraser. Les projets y sont avant tout soutenus par la crainte d’achever. Tomber amoureux c’est tenter de survivre.
C’est avoir l’autre comme un besoin, un maléfice, sans qui l’on ne peut que se détruire.
Il y a du besoin dans l’être amoureux. Il y a de la chimie sans doute ici, des échos profondes et remuants, tout un état qui (sur)prend.


Il est possible d’aimer sans être amoureux, du moins pas amoureux de cette façon. C’est raisonnable, grave et léger mais avant tout viable. Il y a du choix encore et de la liberté.
Il est nécessaire d’aimer lorsque l’on est amoureux mais cette faculté passe au second plan, loin derrière l’immédiat de l’embrasement. C’est loin d’être tenable, c'est destructeur et déraisonnable. Il s’agit d’entraves et n’est plus vraiment question de volonté. Tomber c'est l’angoisse de perdre. De perdre même les miettes rancies seules obtenues de la pièce espérée, mais tout de même et même seulement cela craindre encore de le perdre.

Aimer sans retour est loin d’être agréable, confortable. L’égo en prend un coup, façon douche froide. Mais s’il reste des cendres à balayer, une fois séchées, du moins les braises sont-elles éteintes. Au pire restera-t-il de loin en loin quelques traces de brûlé, de fumée. Mais le foyer est bientôt de nouveau prêt à l’usage.

Tomber amoureux sans retour n’est même plus question de confort. Il n’y a pas de confort dans la chute, que l’inconfort et les doutes, les angoisses et de l’espoir bien noir. L’autre peut souffler le froid, envoyer des seaux d’eau glacée ceux-là ne l’arrêteront pas. L’amoureux souffrira, sans que ne veuille s’éteindre pour ça la flamme qui l’a transmué, d’être humain à être d’amour en vain, et changé l’autre être humain en obsession même pour rien. Il n’arrêtera pas vraiment d’espérer.

Il n’est nul besoin d’apprendre à vivre avec un refus d’aimer. L’on grimace un peu sur le coup, panse la plaie et reprend sa route, elle guérira bien malgré tout et n’empêche pas de vivre du tout. Parfois même l’on finit par oublier l’autre qui fut un moment la cible de telles pensées. Si du temps peut-être nécessaire pour tourner la page au moins l’hôte en est-il volontaire, comprenant bien qu’il n’y a rien à en faire.
L’on apprend à vivre avec un refus, une impossibilité imposée à l’amoureux. L’on n’oublie pas, la flamme reste là. L’habitacle se vitrifie lentement autour, cristallisant le souvenir et préservant, à force de temps, le porteur qui peut parfois trouver un apaisement dans l’éloignement –un apaisement bien lent, long à venir et faire effet.
D’autant plus long à venir qu’il est un masochisme dans cet amour là, l’amoureux peut raisonnablement vouloir cesser de l’être, pour cesser de souffrir en vain, pour tourner la page en bien… Tout en lui se refuse à la défaite. L’amoureux est mauvais joueur, refuse de n’avoir pas ce qu’il estime lui revenir de droit, de droit car de besoin -ou d'envie ? Mais d'envie presque à la folie.
Le temps ici n’efface rien mais arrondit les coins. Permet de loger moins douloureusement l’éclat en soi, d’en venir même à le chérir bien que jamais sans amertume ou sans arrière pensée. Le temps d’ailleurs embellit les souvenirs, y compris ceux de la douleur. L’on en vient à chérir d’avoir vécu tout en ne souhaitant, surtout pas –mais désirant tout de même à part soi, de cette part irréductible irraisonnable qui espère encore-, revivre cette expérience insensée dès lors qu’elle n’est pas partagée