Il y avait eu des départs, en nombre incalculable. Les siens, les leurs aussi, surtout.

Elle n’aimait pas les embrassades au départ et disait souvent qu’entre les siens et les leurs ils y auraient tous perdu des heures.

 

Elle aimait vivre près des gares, ferroviaires en France et routières ailleurs où la route avale des distances. Aimait l’effervescence de ces lieux un peu à part, lieux transitoires.

 

Pourtant, n’embarquait-elle pas systématiquement.

Souvent, évidemment. Elle avait ses habitudes sur les quais, le roulement des trains qui partaient. Elle aimait voir l’horizon défiler, attendu, atome isolé dans un monde étendu.

 

Mais parfois, souvent, passait-elle en ces lieux sans les quitter, passait-elle en ces gares et restait. S’asseyait en terrasse et regardait passer les passants, pressés ou nonchalants, ceux qui se retrouvaient et les isolés qui filaient. Elle aimait observer, partageait à leur insu des scènes publiques d’un quotidien inconnu.

 

Elle aimait aussi accueillir et raccompagner. Combien de fois avait-elle attendu en bout de quai tel amour, tel ami, même peu, même pis ? Elle avait toujours été volontaire pour aller chercher même de parfais étrangers du boulot, attendus leur nom brandi sur un petit panneau.

Elle adorait laisser passer le flot d’arrivants –sans rester dedans, elle savait bien comme ils sont agaçants ces statiques au milieu des quais que l’on ne souhaite que quitter. Mais se postait-elle un peu à l’abri, un peu en retrait, sur la rive où venait parfois mordre un peu la rivière. Pour un renseignement, une cigarette et parfois juste un sourire en passant.

Immobile et dans l’attente avait-elle encore ce rayonnement, ardente.

 

Souvent cela dépannait bien, cet enthousiasme serviable à accueillir et raccompagner. Elle servait de taxi lors de ses passages chez les siens. De jour, de nuit, ceux qu’il fallait conduire ou qui disaient venir. Elle prenait la route avec un plaisir non dissimulé, y compris celui de conduire et de rentrer. Elle allait chercher en gare, déposait en soirées, embrassait avant de s’en retourner.

 

Elle aimait graviter, du foyer familial qu’ils avaient tous à peu près quitté pour conduire l’un, récupérer l’autre de ses frangins, de leurs copains.

Les matins de ces retours de soirée, cernés et fatigués, quand la voiture s’imprégnait de relents d’alcool et de fumée.

Les retours de mois ou de semaines, chargeant valise et problèmes à l’arrière pour le week end.

Il y avait là des échantillons de mouvements et d’ailleurs, moments de vie et vraies saveurs.

 

Elle aimait aussi raccompagner, suivre jusqu’aux quais où cette fois l’autre seulement partirait. D’où elle ne pourrait que s’en retourner. Elle aimait voir partir et rentrer, reprendre en sens inverse un chemin familier, un chez-soi assumé, un quartier quadrillé.

Encore un peu en pensées avec ceux qu’elle venait de laisser mais à nouveau seule aussi, à ses idées. Libre de regarder, de bifurquer. De se tenir comme elle souhaitait dans un chez soi retrouvé.

 

Elle disait qu’il y avait une douceur incomparable à s’en retourner.

A regagner des pénates à nouveau silencieuses et vidées de la présence d’hôtes qui laissaient toujours trace de leur passage. Des parfums qui flottaient aux assiettes à laver, des objets oubliés aux souvenirs passés. Elle aimait retrouver sa demeure encore habitée du passage de ses invités repartis. Mais aimait retrouver sa demeure apaisée, l’immobilité recouvrée, la solitude et la sérénité, ses habitudes et la tranquillité.

Il y avait du repos, une aimable douceur à être celle qui reste et s’en revient, qui voit partir, salue de loin. Laisser aux autres les chemins et les bruits, l’espace public et le mouvement. Garder, goûter le calme et la paix, la chaleur d’un foyer et le confort de s’y retrouver.