Aimer et partir (2/2)
Eclats de vies - Par Gabrielle - mercredi 20 août 2014 - Lien permanent
Mais autre, au moins. N’étant
plus le quotidien qu’il venait de quitter, quitte à vite s’y
retrouver.
C’est le mouvement qui me porte, le changement qui
importe, avait-il coutume de dire ou penser –tant il est vrai
que tous n’étaient pas prêts à l’entendre ou l’accepter.
Alors le plus souvent ne
disait-il rien. Il s’éclipsait silencieusement d’un lieu, d’un
monde occupé temporairement, arguant s’il le fallait d’un
emploi, de projets pour là bas, d’amis plus anciens que ces
connaissances de contextes et d’un temps.
Bien sur, ce cas là était
différent. Dire à ceux qu’il avait élus, ceux qui l’avaient
bien voulu parmi eux, l’attendaient et l’appréciaient. Dire à
celle qu’il aimait et qui lui semblait attachée… Leur dire quoi
? Leur dire qu’il s’en allait, qu’il allait… Il ne pouvait
plus prétendre retrouver d’autres proches et d’autres amis, non
plus même qu’un emploi qui l’aurait plus attiré.
Il avait
ici de quoi bâtir ses projets, bien entouré tant
professionnellement que personnellement. Il avait tout pour se fixer,
s’installer et construire dans la durée ces idées qui lui
tenaient à cœur. Car il avait des idées, des projets et des envies
de rester.
Simplement, il n’était pas
certain de vouloir tout de suite les mettre en pratique. Il estimait
qu’il aurait bien le temps de se fixer, de s’installer. Bien sur,
lui répliquait-on, mais aussi celui e bouger. Il pouvait bien se
poser, ne serait-ce quelques années, bâtir un peu ses projets,
s’entourer de ceux qui le souhaitaient, de ceux qu’il souhaitait.
Puisqu’il accédait maintenant à un contexte existant, qu’il avait cherché longuement et n’avait plus qu’à saisir, à vivre intensément. Le temps qu’il durerait, puisque rien n’est éternel ; après repartirait-il !
C’est vrai, pertinent et évident
reconnaissait-il, s’ancrant du mieux qu’il pouvait dans ses
proches et ses projets. C’est vrai, il avait longtemps couru après
un tel contexte, qui lui permettrait de se réaliser, de n’être
pas dans un provisoire atteint plus ou moins par hasard. Car il
s’était auparavant un peu baladé, un peu balloté, de villes en
territoires et de potes en connaissances. Sans grande raison ni
fondement, arrivant là sans l’avoir voulu vraiment.
Ici c’était
différent. Il avait voulu venir, sachant trouver ceux qu’il aimait
et de quoi vivre ses projets. Il avait voulu venir pour s’installer
et durer.
Pourtant, à peine arrivé
déjà l’envie d’ailleurs le reprenait. C’en était à
désespérer. Quand, finalement, s’arrêterait-il ?
Ou du moins, puisqu’il était décidé, contre vents et marées à se fixer, à tout faire pour un peu durer, quand donc cesserait l’appel, ce désir lancinant d’un ailleurs, n’importe où et au devant ?
Alors il la serrait plus fort,
s’enfouissait contre son corps. Riait plus fort et reprenait un
verre encore.
Inquiétait parfois, dans ses tendances à en faire
un peu trop. En privé, inquiétait aussi par ses passages à vide un
peu maussade et déprimé. Par ces moments où il s’accrochait à
elle, en plein tourments. Il avait pleuré, une fois, dans ses bras ;
elle s’en était durablement alarmée.
Bien sur ne
comprenait-elle pas, ne comprenaient-ils pas. Comment dire je t’aime,
dire je vous adore mais pars encore, vous quitte de ce pas ou le
ferai bientôt. Quand je ne sais pas, mais suis sur de le vouloir
déjà… Comment envisager aimer et souhaiter quitter tout à la
fois ?
Il ne savait pas quoi faire de
ces pulsions là. Fatigué parfois, refusait d’y penser et ne
souhaitait que se laisser aller, au sommeil ou à l’ivresse, de
l’alcool et des rires ou du corps et ses plaisirs. Ne souhaitait
que ce qui pourrait l’apaiser, ne fusse que momentané. Il était
las de la tension, de l’écartèlement permanent nourri de
l’insatisfaction. Quand cesseraient donc les questions ?
Il
l’ignorait, se contentait de fixer aveuglément le plafond sans
passion, de tourner en rond seul entre les draps, ces soirs où il
regrettait que la femme ne soit pas là. Sa présence au moins
détournait l’attention, laissait de coté les questions.
Bien sur elle ne les réglait pas ; d’ailleurs elle finissait toujours par repartir, le laissant seul à ces questions qui n’en attendaient pas plus pour resurgir.
Sans parler de la moindre
tension, la moindre déception. Il l’aimait, plus qu’il ne
l’aurait parié initialement. Comme tout un chacun et toute
relation, ils avaient aussi ces moments de froids, quelques
désaccords jamais bien graves ni durables qui sont le propre de tous
ceux qui entrent en relation.
Ces moments pouvaient être
facilement surmontés. Mais dans son cas, n’en faisaient que
nourrir et provisoirement renforcer l’envie, le besoin de partir.
D’un jour sur l’autre,
lui-même en devenait indécis.
Il avait tout ici, estimait-il non sans raison, ne pouvait que rester tout y incitait. Il s’agissait alors de résister, c’était sans doute comme arrêter de fumer, question de raison et de volonté. Tout y poussait.
Alors il s’accrochait,
serrait les dents et dessinait en pensées la courbe des épaules
qu’il aimait embrasser, se remémorait les murmures tendres avoués.
S’accrochait à l’idée de la prochaine soirée, des bons moments
passés qui se renouvelleraient, il le savait.
Et ne pouvait, pour autant,
pas s’empêcher de chercher et de répondre à ces opportunités qui l’éloigneraient. Pas s’empêcher de rêver
à des ailleurs et des lointains qui l’appelaient.