La bouche se durcit en un pli qui se veut volontaire, les maigres épaules se carrent comme elles peuvent. Il ira, c'est décidé. Alors il avance, de plus en plus vite pour quitter la ville ; déjà l'animation des quais n'est plus qu'une rumeur qui s'éloigne au rythme du pas cadencé, qui perd déjà le roulis acquis par les jours sur le navire.

Il passe enfin les murailles qui ceignent la ville, sans pour autant l'y contenir toute entière : les faubourgs s'étalent, les échoppes se sont multipliées et les habitations s'étalent. L'agitation connait un regain de vigueur autour du petit marché, qu'il traverse à grands pas, dédaignant les marchandises étalées, lui qui aime d'ordinaire se rassasier les yeux devant les richesses exposées. Progressivement les habitations disparaissent, quelques taudis encore et les étendues labourées qu'il arpente encore d'un bon pas.

Pourtant, insensiblement le pas a ralenti. Il arrive à présent en terre inconnue car si la ville est toujours en vue, le gamin n'est pas sorti souvent de la ferme familiale, sise à peine au delà du bourg. Il a pris soin, quittant la ville, d'emprunter la voie et la porte opposée au chemin menant aux terres du... du frère sans doute à présent.

Il longe les falaises à présent, se grise des embruns qu'elles lui apportent. Oui, il est fait pour la mer ! Les terres grises à sa gauche n'attirent pas le moindre de ses regards, captivé qu'il est par l'océan, où ses yeux repèrent au loin les silhouettes de navires qui arrivent ou repartent.

Tout en marchant il songe aux récits racontés à bords, où les ragots se mêlaient au vrai. Où diable peut-il trouver les naufrageurs ?

Ici les plages sont encore trop douces ; il lui faut pousser au delà, trouver les creux d'où partent des séries de roches acérées, capables de perdre les navires attirés par les traitres lumières.

Le soir tombe, il est vrai qu'il arrive vite en cette fin d'été. La peur est là, au creux du ventre mais plus que tout c'est l'excitation qui mène le gamin. S'il ne les trouve pas avant la nuit, il dormira ici ou là, il dormira dans un coin et les trouvera demain.

Le pas s'arrête soudain et le gamin tend l'oreille. N'a-t-il pas perçu quelque éclat de voix ? Instinctivement, le regard se tourne sur la côte. Oui, une vague lumière au loin ! Le pas s'accélère à nouveau, le gamin file au petit trot sur la cote.

Mais en s'approchant, il s'aperçoit vite de son erreur : nulle lueur en vue, qu'une tache de blancheur dans les flots. Mais la voix ! Il court à présent, descend les rochers jusqu'à l'eau.

Un homme dans les flots, qui semble s'y noyer. Il appelle, hurle à l'aide, barbote comme il peut, empêtré dans une lourde robe qu'on reconnaît de bure.

Un moine. Le gamin freine des quatre fers et la dureté reprend possession de ses lèvres en un rictus. Qu'il se noie donc ! L'officiant sur le navire ne valait pas mieux que les autres. Et les moines, gras, qui tenaient l'abbaye dans les faubourgs... Plus gras que lui en tous cas, plus que ceux des familles alentours qui crevaient de famine. Qu'il meure donc, ce n'est pas lui qui le pleurera.

Le gamin tourne dos à celui qui se noie et reprend sa marche au long du rivage. Il sera naufrageur et commencera carrière en ne sauvant pas ce moine étrange qui hurle encore -de rage, croirait-on presque.