C’est beau de te voir dormir, paisible et posée. Etonnant comme le sommeil peut encore t’assommer, comme les tout petits bébés, toi si pleine de vie durant la journée. Sans doute est-il nécessaire de recharger tes batteries la nuit, c’est vrai que tu ne t’économises pas en énergie ! Et le soir, après une histoire, tout s’éteint sous tes paupières.
Je croise les doigts souvent, tu sais, pour que tu passes encore de longues années à tomber si facilement dans le sommeil. Loin des questionnements, des insomnies des adultes et des adolescents.

Ma fille si belle. Enfin, bien sur peut-être pas si belle, je t’adore mais ne rêve pas non plus et sans doute ne gagneras-tu pas de concours là dedans –de prix, comme ces bêtes de race qu’on fait marcher, la laisse en moins pour les humains. Tu tiens malheureusement trop de ton père pour être vraiment jolie, si l’on suit les normes et les modes qu’on est bien peu à atteindre. J’en suis bien désolé mais je me rassure en pensant qu’au moins pour le reste, pour ce qui comptera vraiment tu tiens alors plus de ta mère qui vaut mille fois mieux que moi.

Ma fille, mon enfant. Incroyable hein ? Moi avec un gamin, il y a dix ans ça aurait bien fait rire les copains. Et moi le premier, tu penses bien. Le mauvais garçon avec sa mauvaise bande toujours au quatre cent mauvais coups. Peu fiable, instable même sur sa bécane. Bien loin du paternel sévère ou du père larmoyant devant le miracle de ses enfants. Et pourtant.
Ma fille. La notre en fait car ça ne se fait pas tout seule et si tu lui demandes ta mère aura bien raison de dire qu’elle en a plus bavé que moi ! Je suis sorti chercher d’improbables fraises dans le froid et puis je lui ai tenu la main tout à la fin, la laissant me broyer les doigts, impuissant et présent. Bien sur que c’est du cliché, bien sur qu’on a été deux à préparer ta venue mon bébé. Les rôles ne sont juste jamais égalitaires sur ce plan là. Notre fille.

Elle était magnifique, ta mère enceinte, magnifique comme elle l’était avant –jeune fille qui m’était tombée dessus au jour de l’an- et comme elle l’est toujours, sans avoir rien perdu de tous ces rôles embarqués. Je retrouve encore en elle la jeunette délurée, tu sais, même si d’autres rôles se sont invités, ajoutés.
Comme elle a eu raison de vouloir un enfant ! La première fois qu’elle m’en a parlé, en bon macho cliché je lui ai proposé un chien plutôt. Gros et méchant tant qu’à faire, pour accompagner la moto et mes mauvais airs. Un vrai cliché je te dis. Heureusement qu’elle était là. Elle a toujours eu plus les pieds sur terre que moi. Je ne sais pas si c’est de jouer à la marchande et la coiffeuse au berceau, quand on nous gave de guerre et de super-héros, mais les filles m’ont toujours paru plus réalistes que nous, jeunes chiens fous. J’ai quand même refusé tout net la marchande proposée par ma mère –mais un vélo oui, ça c’était le truc à faire.
Heureusement que la tienne de mère était là, avant de devenir ta mère il n'y a pas si longtemps. Sortie de nulle part pour me tomber dessus, s’amuser un peu et m’entraîner dans son sillage de vie. Tu sais le pire ? J’ai même pas eu l’impression de me forcer pour me ranger. Echanger les nuits blanches et la vitesse contre une place dans sa vie, un lit devenu commun… Et c’était pas que pour ses fesses. D’un coup c’était tout ce qu’il me fallait.
Ca doit être ça vieillir. Ou tomber amoureux. Sans doute un peu des deux.

Je te raconte ça maintenant, et à voix basse encore, que tu n’entends pas, mais parce que tu dors déjà donc ça n’importe pas et puis parce que t’es encore jeunette pour que ça ait presque l’air beau jusque là. Dans quelques années ça te ferait peut-être bien rigoler, tu trouveras sans doute affreuse l’idée de te ranger, bonne pour ces vieux que tu imagineras ne jamais devenir. Mais de toute façon dans quelques années je doute que tu me fasses encore entrer dans ta chambre pour te raconter une histoire sur laquelle t’endormir. Ce sera l’époque des cris et des portes qui claquent, de l’impuissance et du conflit. J’essaierai d’être là et d’être au bon endroit mais je sais déjà qu’on n’y échappera pas. Il parait de toute façon qu’il faut en passer là. Dans tous les cas je sais que tout ne sera pas parfait, qu’il y aura des maladresses et des regrets que j’espère sans grande importance-, tu sais ce n’est pas toujours facile, vous êtes quand même livrés sans mode d’emploi.
Je me rappelle encore des premières hésitations avec ta mère, savoir si la couche n’était pas trop serrée ou les raisons qui pouvaient bien te pousser à pleurer.
Et dès ce moment là, les grandes interrogations sur ce qu’il fallait t’autoriser ou pas. Fixer des limites qui finissent sans cesse par être modifiées quand tu grandis –ou quand on se dit finalement que c’était une connerie. On en a pour un moment avec ça et les pires années sont sans doute encore devant nous.

Rien qui puisse nous empêcher de t’aimer pourtant. Bien sur on est des fois fatigués, on voulait se retrouver avec ta mère sans la gamine dans les pieds, voir tout seul chacun de son coté, même si je sais qu’elle tremble un peu quand j’enfourche encore la bécane. Elle a pourtant gagné en stabilité avec moi et les excès deviennent rares –même si je connais encore quelques bouts de départementales pas loin qui ne voient jamais le nez d’un radar et où il fait bon s’en donner à cœur joie.

Pourtant je ne remercierai jamais assez ta mère pour être entrée, si volontaire, dans une vie que je foutais en l’air.
Elle a été la première meilleure chose qui me soit arrivée. Ensuite évidemment il y a eu toi. Si tu savais comme je t’aime, ma fille.

Comme on t’aime tous les deux et je vous aime toutes les deux, je vous admire tellement, les deux femmes de ma vie.
Et pourtant –car il y a toujours un mais ou un pourtant, tu apprendras ça aussi en te piquant à la vie. Et pourtant on va se et te faire du mal ma chérie, tout ça parce que tout ne va plus très bien entre tes parents.