Récits vagants

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Sel et rouille

Il ira marcher, peut-être, le long des voies ferrées. Pleurer sur les amours passés et tout ce qui n'a pas été.

Il connait la rugosité. S'y est armé, à contre gré. Sans pourtant l'épouser. A pu s'en armer, quasi forcé.

Il n'est pas de ceux qui portent l'épée. Mais les mains, paumes ouvertes au loin. Offertes à rien.

N'est pas plus de ceux qui portent l'armure. Tant pis si rien ne résiste, si les larmes noient le poisson, font diversion plus souvent qu'elles ne devraient. Il a flanché, vacillera encore. Ce n'est pas un exploit que de l'avoir fait pleurer.

Il sait serrer parfois les dents sous les coups, les remous qui les effleurent à peine, eux les armés, sous le fer et la laine. Bien sur qu'il a froid : c'est la mort du monde qui lui ronge les doigts.

Il ira marcher, peut-être, le long des voies ferrées. Se signifier encore qu'elles ne sont rien, que de probables chemins creusés de main d'homme de fer. Il aime à longer, le plus souvent, les fleuves bâtis de pesanteur et de temps. L'un comme l'autre mènent vers l'ailleurs. Evidemment souvent celui où il aimerait aller.

Celui qu'il doit ignorer. Il faut l'innocence et le rêve pour espérer l'herbe plus verte à coté. Où les yeux ne peuvent pas porter. Il n'a ni l'une ni l'autre, mais la foi nihiliste d'un monde qui se porterait mieux sans avoir à nous supporter.

Il avait fait peu de choix. Nombre d'entre eux s'étaient imposés, quand il ne pouvait pas y avoir d'autre idée, pas d'autre faisabilité.

Il aime à rêver car espérer c'est supporter.

Les lourdeurs et la vanité. Les blessures et la cruauté. L’humanité. Il a renversé le compliment, depuis déjà longtemps. Humain n'en est pas un.

Pour autant il en a croisé, de loin en loin, quelques inhumains. Monstres d'amour et de sensibilité. Tous ne s'en étaient pas tirés ; il ne fait pas bon naitre ou devenir inadapté.

La plupart du temps cependant n'auraient-ils échangé pour rien au monde leur particularité. Martyres secrets sans cause, ployant sous des fardeaux invisibles aux yeux des autres.

Ils avaient pu rêver à d'autres mondes. S'étaient attachés, seuls ou ensemble, à modifier celui qui les trouvaient coincés. Pas de grands projets, quelques belles idées. De petits gestes de rien, du quotidien sans grand dessein, sinon celui de n'effectuer aucun compromis d'humanité.

Reconnaissaient leurs failles et leurs insuffisances, savoir qu'aucun ne serait de taille et pas même s'ils trouvaient à s'unir.

La lucidité, souvent, n'est que trop lourde à porter. Elle contribuait parfois même à s'aveugler.

De temps à autre un écho trouvé chez un autre avait su le réchauffer. L'embraser. Il était rare de se retrouver, communauté d'isolés qui ne se rencontrent presque jamais. Et qui se heurtent ou s'incomprennent lorsqu'ils se croisent par hasard ou à dessein.

Alors après la douceur et les flammes, l'affection et la passion ayant viré à l'orage... Sous la pluie tiède et lourde comme du sang, il aurait pu retrouver les voies ferrées, les routes et le poids des années.

Ce qui n'était pas né pouvait encore arriver mais nul ne pourrait ressusciter ce qu'ils avaient enterré.

Il avait vu s'ensevelir une part de lui même qui brûlait encore en souvenirs.

On ne revient pas, jamais. On retourne parfois sur ses pas, retrouve les lieux qui nous ont abrités, retourne en pensées souvenirs et regrets. On ne revient pas plus qu'on ne s'arrête en chemin.

Il n'y aura pas de sanglots à venir, pas pour cette histoire là. Ils ont eu, bien avant, tout le temps pour couler, rouler, dévaler le gosier noué sur ses incapacités. A force de couler dans l'immédiat, ont-ils fini par se tarir. Les larmes vident évidemment mais brûlent et fatiguent bien autant. Bien plus qu'elles n'arment ou protègent. Il avait vu fondre sous le sel encore un peu de lui même, de patience et d'espérance.

L'apathie n'était plus de l'espoir et la tendresse à peine un instant léger, un peu désespéré, certain de n'y pas trouver ce qu'il aurait espérer. Cela n'avait pas pris une décennie. C'était arrivé dans l'aujourd'hui et ne l'avait pas quitté depuis. Les années pourraient passer sans plus rien y changer. L'aigri, incapable de s'attacher sans se forcer, sans arrière-pensées ; cela avait déjà commencé, du jour même où ils se blessaient.

Pourtant, même s'il savait que cela aussi pourrait changer, pourtant n'avait--il pas tout à fait renoncer à s'y faire ou trouver. Evitait juste de trop y penser.

Loin

Il se justifiait, disais j'me sens si loin à des moments. C'est pas toi, c'est pas vous, peut-être le monde qui est trop grand.

Jours gris (3/3)

Il est vrai que la mélancolie semblait avoir passé un accord un peu tacite avec lui, ne l'envahissant que lorsqu'il était seul et dispos.

Alors disaient certains, c'était bien simple il suffisait d'être toujours entrainé, toujours entouré. Il s’émouvait parfois de leur bonne volonté, sachant bien qu'elle ne suffisait pas à combler les gouffres à ses cotés.

L’accord tacite avec la nostalgie disait aussi, certes en plus petit, qu'il faudrait de temps à autres lui laisser des espaces de liberté, des moments où s'exprimer. Au risque, sinon, de se laisser déborder.

Il la voyait parfois comme une vague un peu prédatrice à la limite de ses perceptions. Silencieuse et tapie, le laissant vivre sa vie. Mais profitant de certaines occasions, parfois, pour bondir à l'invasion.

Il y avait toujours des occasions. Il pouvait les préparer, les organiser, en faire une vraie réception, dire à la déprime allez viens t'installer, c'est le moment. Elle pouvait alors rester, il est vrai, un bon moment. Parfois le débordait jusqu'à ce qu'un événement ou un autre extérieur à sa volonté ne vienne l'en tirer. Une fois seulement qu'elle s'était affaiblie en restant, le rendant à nouveau réceptif à ces occasions de sortie.

S'il ne lui laissait pas ces plages horaires organisées, elle surgissait à l'improviste et sans pitié. C'était un mot, un geste d'un ami parfois très proche et très gentil. Qui heurtait sans le vouloir une sensibilité exacerbée n'attendant que le coup pour s'ouvrir à la vague insensée. Tire les entrailles et la maitrise tombera. L'immonde envahira.

Il se souvenait des quelques fois où il avait contenu, parfois in extremis, quelques larmes ou trop de hargne devant ses proches ou ses potes. Ils n'avaient pas à savoir. Mais il s'était parfois retrouvé attablé, dents serrées autour de sa gorge nouée, plaisantant moins ou plus froidement. Il avait contemplé les carreaux de quelques salles de bains qui avaient offert refuge à ses larmes. En fin de soirée certains -il en était souvent- s'y enfermaient pour gerber, lui s'y barricadait pour pleurer. Loin des yeux -loin du cœur!- des gens heureux sans ses heurs.

Il se disait parfois qu'il était heureux que les hommes n'aient pas à se maquiller ou son rimmel aurait trop souvent coulé.

Bien sur ce n'était pas systématique et n'arrivait que parfois. Ce n'était pas mécanique et il pouvait y couper durant des mois.

Mais c'était là.

Jours gris (2/3)

Suite d'ici

L'agréable autant que le mauvais.
Il se sentait souvent plus heureux, plus enthousiaste pour un rien, émerveillé parfois jusqu'à la naïveté, par des riens du quotidien que nombre ne daignaient même pas remarquer. Pire, s'il lui arrivait de leur pointer du doigt ce qui le faisait sourire ou trépigner, ne voyaient vraiment pas de quoi s'alarmer.Ils ébaucheraient à peine un sourire un peu mécanique où moi riait à gorge déployée ; il sentait la pique où d'autres se sentaient à peine effleurés.

Non pas la peur, la peur pour lui mais l'influence trop souvent de grands soucis auxquels il ne pouvait évidemment rien. Les malheurs du quotidien lui étaient souvent pénibles et broyaient son humeur en laissant remonter regrets et peurs.
Mais qui peut contre la misère et la faim ?
Tout un chacun.

Les vagues qui le submergeaient en ces moments là tenaient de la conscience aiguë de l'horreur épandue sur le monde, amplifiés de l'indifférence au quotidien qui y répondait généralement.
Les lames de fond étaient bien entendu plus personnelles. Egoïstes même. Elles tenaient de ses échecs personnels, d'un égotisme refusant de les accepter. D'une fierté blessée de se sentir bien loin d'humains de qualité auxquels elle estimait appartenir. D'un ego blessé que son support ne ressemble en rien à ce qu'il aurait espéré, estimé mériter. Plus beau, plus fort, plus vif de corps et d'esprit. Ces lacunes en lui, fermement ancrées dans une faiblesse de volonté l’entraînaient à s'y vautrer. Il le déplorait.

Oui c'était bien ce qu'il faisait dans ces moments prostrés. Il déplorait. Déplorait le monde et ses atrocités, les hommes et leur cécité, lui même et ses incapacités.
Il savait bien que cela ne servait à rien. Il plongeait, parfois loin, mais n'en rapportait rien. Qu'une horreur ancrant ses certitudes et des peurs bousculant les hésitations et incompréhensions. Il se détestait plus que jamais, en ces moments délicat. Se retirait pourtant, ou se voyait tiré en lui, regard tourné vers l'intérieur et l'horreur.
Il n'aimait pas ces moments. Evidemment. Ne semblait pourtant rien faire expressément pour y échapper. Se réfugiant, s'enfermant dans un isolement déprimant, fuyant les autres le plus souvent.

Parfois sortait-il pourtant, retrouvait ses amis en souriant. Il savait faire illusion jusqu'à tromper tout à fait presque tout un chacun.
Quelques heures jusqu'au matin. Quelques jours, peut-être bien.

Le salaud malgré lui


Je sais que je peux être agaçant, un peu pénible à la fin à t'observer et te toucher ainsi tout le temps et sans fin.
Mais accepte, s'il te plait, juste un peu, presque rien.

J'aime ta présence qui réchauffe et fait du bien.
Je révère ton corps magnifique si loin du mien.
Alors tant que cela dure et se maintient, je brûle la chandelle aux deux bouts et ne brûle que de ta présence un peu plus.

Parce que je sais aussi, avec la certitude de l'immédiat et de l'habitude, un quand bien plus qu'un si, sans quiétude, qu'il viendra un moment où sera rompu l'enchantement. Qu'un jour ce regard qui me remue n'évoquera plus rien qu'un peu de passé, nostalgie douloureuse de n'être plus ressentie vivante aujourd'hui. Que ce corps qui m'attire et brûle mon désir ne fera plus vibrer qu'à peine un peu d'envie, pour voir et tromper l'ennui. Si ta présence survit cependant à l'agacement et au dégoûts qui auront précédé.

J'ai peine à croire qu'il viendra un jour où je ne serai plus heureux de te voir.
Mais plus que croire, sais-tu, ais-je véritablement peine à le savoir. Tristesse effarée. Pourtant je sais, non par quelque étrange pressentiment mais bel et bien parce qu'il est d'ors et déjà certain que toutes les histoires ont une fin.
Bien sur certaines durent et perdurent des années, des décennies, parfois des vies.
Mais au prix de certains conflits et compromis, que je ne suis pas apte à faire aujourd'hui.
Et l'on parle encore ici des belles histoires, dignes des contes et des romans, des grands noms de l'émerveillement. Nous en sommes si loin en ces moments !
Une histoire pourrait être le mot. Une aventure à la con, apparue par conjoncture, disponibilité momentanée et sympathique réciproque. Un jour on se lassera comme on se lasse de beaucoup. De tout ce qui a paru mais n'a pas, finalement, compté beaucoup.

Alors tu as beau représenter un concentré de ce que tout homme ou presque aimerait trouver, je sais qu'il viendra bien un moment où je me lasserai.
Je me dis que peut-être, si tu n'en as pas, toi, eu marre avant, qu'alors partir te sera pour le mieux, te permettra enfin de trouver entourage et moitié propre à durer, peut-être à construire.
Si tu pars avant, bien sur que je m'effondrerai d'avoir été jeté. Mais quand je finirai par me relever, ce sera pour y reconnaitre au milieu de ces sentiments violents la marque d'un certain soulagement.


- page 3 de 17 -