Pour un "ça va mal finir" amusé malencontreusement prophétique

Elle l’avait dit aventurier, ce qui était un bien trop beau –gros- mot pour lui. Il y avait dans l’aventurier un petit coté dynamique et buriné, volontaire et puissamment vivant qui ne lui correspondait pas.
Lui se décernait le nom de fuyard. Et même s’il trouvait parfois à se soulager l’esprit –« quand quelqu’un part, les immobiles disent qu’il fuit » avait dit Brel et si Brel le disait…- il n’en restait pas moins lucide sur le terme.
En danse comme en boxe, il avait toujours acquis très vite les gestes pour se désengager, bien plus vite que ceux qui initiaient l’échange.

Bien sur c’était partir et découvrir autre chose, se frotter sans cesse au nouveau –oh du nouveau toujours un peu familier, je vous le répète il n’était pas un aventurier-, au changement. Pour la destination et même pour ce foutu chemin –bien qu’aujourd’hui à coups de trains et d’avions cela ne ressemble plus à rien.

Mais pour le départ aussi. Pour la rupture. Il avait toujours cette tendresse douloureuse pour les gamins qui explosaient de se sentir enfermés, enroutinisés, cet étonnement ravi devant ceux qui s'y enfonçaient de leur plein gré et un léger mépris gentil pour tous ceux qui s’étaient coincés et s’en plaignaient.
Il ne laissait pas grand-chose l’attacher –bien sur quand il se laissait lier c’était souvent très fort et violent, il n’avait pas l’habitude des liens mais il en avait parfois besoin, ça n’arrivait pas souvent mais c’était toujours renversant, destructurant.
Il ne laissait pas grand monde l’attacher –sauf ces quelques nanas de loin en loin pour qui il avait complètement cramé, évidemment.
Les liens à sens unique l’emmerdaient et il tombait rarement sur la réciprocité.
Les liens à sens unique l’emmerdaient : il s’était abîmé, abymé à aimer parfois, mais si il y avait là les douleurs les plus fortes, à la limite celles-ci ne regardaient que lui -il refusait d’entraver, de saouler celles auxquelles il s'était attaché.

En revanche il avait détesté abîmer les autres. Si c’est sur l’autre qu’on met le grappin, pourquoi est-ce le lanceur qui se blesse quand la cible l’ôte ?
Se dépêtrer des liens, il ne savait jamais trop bien –parfois il se disait que de toute façon ça ne finissait jamais bien, que personne ne devait savoir rompre et se dégager proprement, sans faire mal.
On ne tranchait jamais net, même avec une note lapidaire, un post-it, un texto et la colère de l'autre qui larguait les amarres de s'être fait largué, claquait pour de bon la porte par laquelle vous étiez parti sur la pointe des pieds. Mais il fallait toujours ensuite s’expliquer, donner des raisons, s’excuser d’avoir blessé –et il en était réellement désolé ! Seulement, ces choses là le dépassaient.

Après la première qu’il eu conscience d’avoir malmenée, il décida de les prévenir –non qu’il y en eu tant que cela ; trop peu même, au point que son discours ne se rodait pas. Sans faire les premiers pas, il dirait parfois oui à leurs avances, oui sans trop de soucis mais oui seulement si –ne t’attache pas, ça ne durera pas, ne prévoie ni surtout ne projette rien ça finira toujours trop tôt. Il osait même parfois le oui si c'est sans sérieux, oui pour jouir sans avenir.

Un petit coté Brando en moins beau, sans la fureur ni la moto –il disait la tentative, la tentation de vivre.

Parfois elles comprenaient ou faisaient mine et l’appelaient l’aventurier –il savait alors qu’elle n’avaient pas exactement saisi, pas le fond mais ça pouvait coller sur la forme, l’aventurier libre et sans attaches qui partait laissant une femme éplorée.
Parfois l’une renchérissait, s’enorgueillissant de sa tendance à cueillir le jour, lui jurait ne jamais devenir pour lui un boulet. Il souriait doucement en acquiesçant, songeant à part lui qu’aucune fille ne pourrait être un boulet, qu’il était encore trop seul et trop fuyant pour un tel danger. Il n’y a que dans les mauvais films que les fantômes sont entravés de chaînes, tout un chacun sait que les autres passent au travers. Sans matière.
D’ailleurs elles avaient toujours fini par se fâcher, lorsqu’il s’esquivait lâchement –sa fuite n’avait jamais rien d’héroïque.

Tu prends tout et tu te barres sans rien donner, tu te sers et tu t'en vas, lui avait-on dit une fois. Il avait nié, fermement. On est deux pour s'embrasser, pour s'enlacer ou pour baiser disait-il, c'est bien que chacun donne autant. Il ne prenait pas, il acceptait ce qu’on lui offrait, donnait exactement la même chose en retour, en même temps et dans la même intensité. Il biaisait un peu et le savait car il y a d'autres manières de donner -des sentiments, de l'engagement, tout ce dans quoi il ne donnait justement pas.
Puis mettait fin à l’échange et sortait de leur vie –mais n’emportait surtout rien avec lui !
Ou quelques souvenirs. Juste de quoi faire mieux la prochaine fois –refuser, s’esquiver. Car avec le temps il laissait plus souvent tomber avant même d'avoir commencé, refusait pour n'avoir pas à terminer et à blesser.

Ce qui blesse, lui avait dit une fois celle qui peut-être l’avait le mieux compris -à force de temps et de cris-, ce qui blesse c’est cette capacité à sembler entièrement dans la relation, à faire des projets et avoir l’air satisfait sans rien laisser paraître des doutes qui deviennent progressivement certitude et décision. Qu’on se prend alors en pleine figure le jour où tu l’annonces de but en blanc –décision de rupture.

Surtout qu’en général il ne met pas de gants, même s’il se planque souvent derrière un écran –lâche, si lâche et maladroit. Et quand il l’annonce, la décision a cet implacable de ce qui fut longuement réfléchi, elle est déjà vieille et mûrie. Mais sans concertation. L’autre n’en a rien su et donc rien dit.

Parce qu’au fond, il ne suit que ses sentiments à lui, sans compromis.
C’est de l’honnêteté, se dit-il les jours d’égo, que de ne pas rester quand il n’y a plus d’attirance -non pas seulement de désir mais de volonté- et donc de sincérité. Ce serait mentir que de rester à leurs coté sans plus leur être lié.
Un putain d’égoïste ! lui avait un jour craché à la figure une fille blessée à qui il avait déclaré sans grand préambule son idée de la relation –car il l’annonçait tôt, avant toute chose pour celles qui semblaient sincères.
Quand ça ne marche plus, quand je ne t’aime plus je pars ; c’est souvent rapide, brutal et sans raison valable. Peut-être que le discours finissait par se rôder tout compte fait ; encore fallait-il réussir à le sortir, minuté, répété, lorsqu’il fallait le dire. Sans esquiver, sans louvoyer.

A moins de sacrément changer, tu finiras vieux beau libidineux à mater les filles à la sortie des lycées ou cadenassé dans un couple mensonger, prophétisait-il les jours de déprime, les jours de rupture ou de refus, toujours des jours de fuite. Fumant ou buvant à s’en écoeurer –et donner au moins une raison physique à la nausée.