Bientôt lui faudrait-il repartir. Il en prenait conscience, un peu douloureusement. D’autant plus amèrement lorsqu’il passait ses doigts dans les cheveux longs, dont la brillance le fascinait, de la femme qu’il tenait dans ses bras.
Il respirait son odeur, conscient de sentir s’emballer un peu son cœur, haleter au contact purement physique de sa peau contre la sienne. Il savait bien être attaché. La désirer, physiquement, c’était évident –qui ne l’aurait pas fait ? Mais loin, si loin de résumer ce pourquoi il y tenait. Au-delà du désir, c’est bien sa présence même à ses cotés, régulière, évidente à laquelle il s’était habitué au point de ne plus trop bien savoir comment s’en passer.
Elle le faisait rire, avait souvent solution à ses problèmes, de cette gentillesse évidente, désarmante. Où il hésitait, louvoyait à lui demander un service elle balayait ses craintes d’un sourire et de ce haussement d’épaules qui lui était devenu familier, disait « c’est normal et ça me fait plaisir ».
Il l’admirait. Profondément,
sincèrement impressionné. Il ne se lassait pas de toucher,
d’arpenter son corps splendide, sculpté de volonté. Il ne
revenait pas de percevoir parfois le désir réciproque sous ses
doigts, ne se faisait pas à l’idée qu’elle pouvait avoir voulu
de lui. Ne s'habituait pas, chaque jour, à ce qu'elle veuille de
lui.
Il était plutôt heureux à ses cotés.
Et pourtant, pourtant ne
pouvait-il s’empêcher de penser à partir. Lorsque le désir le
prenait, il semblait plus insidieux mais presque plus puissant, plus
impérieux que celui, vital et vivant pourtant, qui lui faisait poser
sa main sur la peau tiède de la femme…
Lorsque le désir de partir le prenait il essayait de raisonner, de résister. Il se disait qu’il avait ici tout ce qu’il pouvait souhaiter. L’emploi, au revenu confortable, un toit et même une table. La présence d’amis à qui il manquait lorsqu’il s’éloignait, manquait une soirée, une sortie qu’ils organisaient.
La présence aussi, combien précieuse et mesurée au quotidien, de la femme qu’il aimait, avec qui il était bien. Il savait que ce n’était pas rien, ayant essayé, décliné ou vu échouer d’autres relations. Puisque aucune ne lui semblait vraiment frôler la perfection, il avait pensé ne jamais pouvoir y trouver ne serait-ce que satisfaction.
Il l’avait trouvée ici
pourtant, tout à fait soudainement. Il avait trouvé et des amis
avec qui souhaiter passer du temps et cette femme qu’il se
surprenait à aimer. Ni les uns ni l’autre n’étaient vraiment
parfaits, pas plus que lui en effet. Etonnamment leur présence
l’enchantait, lui plaisait tout à fait.
Mais n’avait
jamais réussi à le satisfaire tout à fait. N’est ce pas ce qu’il
fallait déduire, disaient-ils, de ses envies récurrentes de partir
?
Il secouait la tête, ne sachant trop quoi répondre ni où commencer à comprendre. Même lui était un peu perdu, un peu démuni par ces pulsions brûlantes en lui, qui disaient l’ailleurs et l’attrait du mouvement, l’éloignement de ce qu’il connaissait… y compris de ceux qu’il aimait.
Bien sur qu’il les aimait.
Qu’ils contribuaient à son bonheur, aux sourires quotidiens portés
sur le chemin. Qu’ils étaient ceux qui le faisaient rire et qu’il
aimait retrouver.
Bien sur qu’ils n’étaient pas parfaits, pas plus que lui ne l’était.
Bien sur qu’il aurait toujours espéré mieux, qu’il lui semblait difficile de se satisfaire de ce qui n’était pas vraiment, pas totalement ce qu’il cherchait.
D’autres s’en seraient contentés, toute la raison y poussait. Trouvant, pourquoi pas, dans leurs distances et leurs différents les sources mêmes d’un enrichissement. Lui-même y ressentait surtout déception, frustration. Il les aurait voulu plus ceci, moins cela… -mais alors sans doute n’auraient-ils plus voulu de lui, duquel il y avait à redire aussi.
Mais même cela, cette
insatisfaction chronique, toujours un peu latente, n’était pas le
cœur de ce qui le poussait à partir. Même aimé, entouré au
point d’avoir consciemment décidé de rester, d’en profiter, il
ne pouvait pas s’empêcher de vouloir partir. Pas tant pour les
quitter, quitter ce qui le retenait, que bien plutôt pour aller
ailleurs et découvrir, ouvrir les yeux sur de nouveaux horizons,
rencontrer, cesser de tourner en rond. Ou du moins d’en avoir
l’impression.
Il ne voulait partir ni pour fuir ni pour trouver mais partait pour partir, pour le mouvement presque plus que tout le reste, l'éloignement et la nouveauté, le renouvellement et les échappées.
Il luttait contre l’appel,
enfouissait sa tête et ses pensées dans le giron de la belle,
s’ancrant dans sa présence comme si elle pouvait lui être
réellement moins prison que délivrance.
Il voulait rester
attaché, fixé. Il voulait qu’en l’attachant, l’entravant, ils
œuvrent à son soulagement. Il voulait être libéré de l’appel,
l’appel incessant qui non content de lui ronger les sangs finissait
souvent victorieux, l’arrachant à son quotidien pour le voir se
catapulter de lui-même dans un autre, jamais vraiment plus
intéressant. Jamais non plus correspondant à ses rêves
inconstants.