Récits vagants

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Eclats de vies

Serre-moi (2)

A M-H, aux bras qui n'ont pas été là et à ceux qui n'ont pas suffi

J'étais, c'est vrai, un peu jaloux de cette idée, de cette potentielle complicité qui m'échappait. Je t'en voulais presque, parfois, de ne pas me laisser accéder à ce qui comptait, à cette intimité qui te rongeait sans que tu ne daignes la partager.

Vrai aussi que tu avais essayé. Je ne comprenais pas ce qui te blessais dans la marche d'un monde dont le pire ne te concernait pas et qui dans tous les cas... Enfin, c'était ainsi, que dire de plus et pourquoi s'arrêter à ce que l'on ne pouvait pas changer ? L'introspection que tu menais n'avait pour conclusions que de tristes constats qui me semblaient pourtant lointains et bien détachés de l'immédiate réalité.

Je m'agaçais parfois de tes simagrées, de ce qui me semblait être une scène pour si peu ou surtout n'en valant pas la peine. Après tout qu'est ce que tes songes y changeaient ?

Et puis je réussissais parfois à me rendre à l'évidence que cela ne semblait pas réellement te laisser de choix. Il est des douleurs ou des idées après tout que certains supportent plus ou moins, des blessures plus ou moins bien soignées et cicatrisées. Sans doute tout ceci, bien qu'en partie dans ta tête, devait t'être insupportable, où je ne voyais, moi, rien de notable.

Cette incompréhension de tes émotions que je m'efforçais de ne pas trouver bidon, m'agaçait aussi parfois. Le plus souvent je ne le montrais pas plus que toi qui t'arrangeais aussi pour craquer à l'abri des regards et des miens y compris.

Alors je me contentais d'accepter ne pas pouvoir t'aider autrement qu'en ouvrant mes bras.

Tu venais y puiser je ne sais quoi, tu parlais d'un ancrage et de ressources à prendre avant de repartir au combat. Tu disais reprendre un peu ton souffle à l'abri de mes bras, à l'abri de tout et de tous. Je me taisais durant ces moments là, ou bien te murmurais mon amour et l'admiration que je te portais. Sincères tous les deux, j'espérais, tant bien que mal, qu'ils aideraient à t'apporter un peu de mieux.

Je ne comprenais pas, je concevais bien n'être pas de tes combats. A défaut d'un frère d'armes et d'un compagnon de chemin, j'essayais d'être ce port où tu faisais relâche et celui qui marcherait à tes cotés quitte à m'y sentir parfois les yeux bandés.

Parfois, cela semblait suffisant et même plutôt bien, quand tu trouvais tout cela reposant et disais être bien.

Parfois cela semblait suffocant de n'être en gros rien, quand tu pleurais d'isolement et que je n'y comprenne rien.

Mais fondamentalement tout ceci semblait le plus souvent n'être qu'un détail un peu pesant mais bien uniquement de temps en temps.

Ensemble on était bien, riant beaucoup, se disputant parfois le plus souvent pour trois fois rien.

Au quotidien tu allais bien, drôle et souvent pleine d'entrain, aimant sortir et découvrir, multipliant les projets et les désirs.

J'étais heureux avec toi, plus emmerdé généralement par ces quelques petits rien du quotidien où l'on s'accrochait parfois, que par le reste et ces moments où tu t'accrochais à moi. Détail, semblait-il, que tout cela.

Il était rare après tout que tu défailles au point d'en avoir à te raccrocher à mon cou. Non que tu ne m'enlaçais pas souvent, au contraire et j'appréciais d'autant, étant moi même du genre un peu collant. Mais malgré tout je savais bien différencier ces câlins habituels ou spontanés des élans plus urgents qui te poussaient à me serrer. De temps en temps venais-tu puiser, incompréhensiblement, ce calme rassurant.

Tu disais à tes copines que tu adorais mes bras forts et mes épaules sculptés des heures durant sur les bancs, pour cette impression délicieuse d'y être en sécurité, cette impression précieuse de protection. Il y avait, c'est vrai, matière à t'enlacer et je t'offrais ce que j'avais, sans modération.

Avec le temps pourtant j'aurais pu deviner que cela finirait par n'être pas assez.

Serre-moi (1)

Ca prenait la poussière par ici ! Tentons d'y remettre un peu de vie.

Tu me demandais parfois de te serrer dans mes bras, te serrer à en étouffer.

Tu ne le disais pas comme ça mais, enlacés, tes serre-moi, serre-moi avaient valeur d'imprécation. Alors je serais à t'étouffer, jamais tout à fait mais assez pour sentir ton souffle se couper dans un hoquet.

Plus tard, je comprendrai aussi que le hoquet n'était le plus souvent qu'un sanglot contenu, brisé avant l'issue par ton souffle retenu dans mes bras.

J'ignorais, le plus souvent, la raison, la motivation à ces élans qui te poussaient contre moi, t'enfouissaientle visage au creux de mon épaule et de mon cou, murmurant serre moi beaucoup.

Je ne prétends pas avoir toujours compris tous tes états d'esprit notamment les plus critiques. J'essayais d'être là, d'être à tes cotés si tu le souhaitais dans ta panique ou ce qui y semblait. J'en ignorais les raisons, ne comprenais pas souvent tes bribes d'explications.

Pour autant j'avais fait le choix d'être là tant que tu voudrais de moi pour ça.

J'ignore ce que t'apportaient vraiment ces étreintes un peu fortes demandées de la sorte. Tu disais parfois que je t'ancrais, qu'entre mes bras accrochée tu pouvais te laisser aller.

Tu détestais pourtant coller ainsi au cliché, la fille fragile enlacée, princesse inutile ayant besoin d'être protégée. Tu n'y correspondais pas, pas tout à fait. Tu venais puiser parfois dans mes bras, relâcher un temps pour mieux repartir après de l'avant. Qui taxerait de faiblesse les grands navires venant faire escale au port ?

J'aimais l'idée d'être un peu ton port et même si je refusais de dire d'attache, oui tu savais bien avoir ici ta place.

J'avais confiance en toi, tu disais la même chose de moi. Je me disais qu'à partir de là le reste n'importait pas, du moins importait moins.

Bien sur je n'étais pas dupe et me disais bien que l'idéal n'était pas de n'y comprendre rien. Que tu aurais préféré, voire aurait eu besoin de quelqu'un capable de savoir et peut-être même de sentir, ressentir comme tu ressentais, de partager ce qui te blessait, de l'appréhender au moins en fait.

Une ou deux fois je t'avais évoquée cette idée. Tu avais souris en haussant les épaules, amèrement amusée. Tu m'avais dit n'en être pas tout à fait persuadée. Tu disais parfois que deux comme ça, deux comme toi serait tout à la fois miracle et sacrée croix. Tu disais que celui qui comprenait aurait la proximité, la complicité... Mais serait probablement lui aussi trop remué pour contribuer à t'ancrer dans ces moments où il te semblait te noyer.

Accusé de réception (2/2)

Suite tout d'abord d'ici et plus récemment d'ici...


Je viendrai, c'est évident, je ne manquerais cela pour rien au monde.
Je souris déjà à t'imaginer. Tu auras la robe la plus blanche et la plus fournie en dentelles qu'il t'aura été possible de trouver. Et sur toi elle n'aura pas le ridicule qu'elle aurait à m'approcher ; sur toi elle ira, resplendira.
Vous formerez l'un des plus beaux couples qu'il est permis d'imaginer. Toi mince et douce, impeccablement maquillée, coulée dans une robe imaginée, adaptée au millimètre près. Je n'ai pas oublié cette couturière parmi tes amies, à qui tu envisageais déjà de proposer tes projets.

Et que dire de ton homme, le sportif devant l'éternel, à la carrure étonnante !
Tu m'avais raconté ton étonnement ravi, la première fois dans ses bras et son lit. J'avais souris et pensé qu'il gagnait des points, par sa taille et sa carrure. Non point tant pour l'aspect recherché, même si tu m'avouais ta fierté quand les filles se retournaient sur son passage.
Mais ce n'était pas tant la beauté qui te plaisait, que cette impression de force qui te rassurait. Tu aimais te blottir dans ses bras, tu me disais avoir l'impression là que plus rien ne pourrait t'atteindre vraiment.

Je souriais, je comprenais, ton besoin d'être entourée, rassurée, protégée.

Entourée de ceux qui t'aimaient. Notre rencontre au bout du monde avait bien témoigné de ce besoin qui te pesait dans l'exil de nos entourages respectifs. Tu m'avais ouvert vite et loin les portes de tes rêves et tes désirs, rattrapant ainsi le temps qui nous manquait pour être intimes.

Rassurée sur ce que tu valais. Tu m'évoquais souvent tes craintes et tes doutes sur la qualité des travaux que tu rendais, sur tes chances et l'avis de ceux que tu rencontrais.
Rassurée, aussi, sur tes capacités, ta féminité. Combien de fois t'étais-tu surprise à draguer, juste pour confirmer que cela marchait ?

J'en ai fait les frais parfois, quand tu m'ôtais sous le nez l'attention d'un type avec qui je flirtais. Vrai que je ne pouvais pas lutter ! Tu finissais par le monopoliser et je vous observais, ravalant rapidement ce qui n'était même pas de la rancoeur. Un certain amusement plutôt, tant je me fichais bien du dragueur et connaissait en revanche tes besoins et tes peurs. Je trouverais d'autres histoires ou m'en passerai aussi bien comme le plus souvent en ces soirs.

On en riait après, plus tard, quand tu venais m'avouer ton sentiment de culpabilité d'avoir dragué quand ton homme t'attendait là bas, distant de milliers de kilomètres et de quelques mois.
J'ajoutais en riant qu'en plus d'avoir manqué le tromper c'est un coup que tu m'avais grillé -pour au final t'en dégager avant d'aller trop loin, par respect et fidélité pour ton copain, tous ces aimables lien qui ne me concernaient en rien.

J'aurais pu t'en vouloir, te traiter d'allumeuse et de salope. J'aimais mieux en rire et me dire que ce n'était pas plus mal que cela t'arrive avec moi qui riait de ces coups bas involontaires et me moquait bien de conclure.


Et puis tu m'avais sauvé quelques fois la mise et la soirée, parfois même sans t'en apercevoir comme tu ne t'apercevais pas me piquer mes conquêtes. En attirant à toi l'attention de l'un qui me gonflait, d'un autre choisi par défaut, quand je ne souhaitais d'une soirée qu'un peu d'amitié et de partages.

Tu me disais dure en amours, comme on le dit d'autres en affaires. Tu te félicitais sincèrement de mon bonheur quand je pensais avoir croisé enfin quelqu'un de bien. Mais c'était rare et en attendant tu me disais profite, on ne vit qu'une fois, profite d'autant plus que tu n'es pas engagée toi.
Je souriais, tu savais bien comme moi que tout cela ne marchait jamais tout à fait comme ça.
Tu avais besoin de séduire qui que ce soit pour être rassurée, séduisante et le savoir. Je ne savais pas me contenter sans arrière-pensée d'un coup d'un soir quand il ne me plaisait pas tout à fait.

Vrai que tu lui en as fait voir à ton homme resté là bas, tandis que tu t'éclatais avec -plus que ?- moi.
Mais j'espérais qu'il pardonnerait, qu'il comprendrait aussi tes repentirs que je savais sincères.
J'espérais car comme toi je savais que c'était lui, que c'était toi, que vous formiez le couple le plus improbable et pourtant le moins voué à voler en éclat. Vous étiez de ceux assemblés pour convoler et durer.

Tu me faisais rire en me racontant vos débuts, quand tout n'était parti que d'une histoire d'un soir et convenue. Vous saviez que cela ne durerait pas, attendiez simplement que l'autre se charge des premiers pas d'une rupture attendue.
Et puis ça a tenu.

Et puis tu es partie -en géographie seulement, car ni de ses pensées ni de votre relation- et revenue et les liens non seulement perduraient comme s'ils ne s'étaient jamais distendus mais bien plus s'étaient ravivés, enrichis. Avaient mûri.
Aujourd'hui vous signez l'achèvement ou le consentement de leur valeur et leur solidité. Il est évident que je viendrai.

Je m'habillerai et parlerai bien, n'ai crainte même si je sais bien que tu n'associes ni mes mots ni mes parures au satin. Tu seras peut-être surprise de me voir entrer si bien dans les codes attendus. Non, je n'aurai plus ces grosses bottes à crampons qui accompagnaient tes talons. Je mettrai bien en valeur selon les codes et les usages attendus ce corps pourtant loin des modes et tout en déconvenues.
Je sais bien n'être pas mignonne ainsi, voilà bien pourquoi c'est autrement que je séduis ou le tente du moins, un peu plus camouflée sous quelques airs de garnement.

Mais qu'importe après tout puisque je ne viendrai pas tout à fait pour être jolie. Pas plus que pour être polie mais bien pour toi, pour la joie mon amie.

Je devine déjà que tu me placeras à la table des élibataires où s'échangeront sans doute un peu de regards et de séduction, quelques numéros voire un peu de passion.
Qui sait, peut-être entrerais-je à l'hôtel accompagnée. Je doute pourtant fort d'en sortir ainsi, de construire avec un, avec lui. Ne t'avise pas de jeter en ma direction l'inévitable bouquet que je me chargerai bien d'esquiver. Nul besoin à dire vrai, tant il sera de mains pour le vouloir et l'ôter prestement de mon chemin.

Ma belle si tu savais la joie que m'apporte ici et aujourd'hui la réception de ce carton. Joie pour toi, sincère et sans jalousie.
Je ne suis pas tout à fait de tout ça, j'en ai pris le pli à défaut d'en avoir vraiment fait le choix.
Qui sait, peut-être resterais-je encore un peu là bas, certainement retournerais-je faire signe aux miens. Peut-être même arrêterais-je pour de bon, trouverais-je cette fois-ci le bon...
Mais il est plus probable que je reprenne en fait le chemin du tarmac et des tropiques où je retrouverai le hamac et sa place unique. Et puis qui sait peut-être un jour tout cela finira bien par changer.
Ne t'en fais pas pour moi, j'ai pris le pli à défaut d'en faire vraiment le choix. Parti(e) de vie ?

Accusé de réception (1/2)

Suite d'ici

Tu n'avais pas tout à fait tord, tu sais, et j'ai souri à te lire. En effet, tous les deux mois environ et selon quoi, une grande enveloppe brune est postée de ce chez-moi où je ne réside pas, ce chez-moi d'une enfance achevée depuis longtemps déjà... Ou jamais tout à fait.
Une grande part du courrier qui m'est destiné ne m'atterrit à vrai dire plus tout à fait entre les mains. Il y a ce qu'on ouvre pour moi là bas, auquel on peut répondre à ma place ou me scanner s'il le faut.
Le courrier papier voyage il est vrai moins bien.
Mais celui-ci, s'ils ont pris la peine de l'ouvrir en premier pour en vérifier l'urgence, ils ont tenu out de même à me l'envoyer tout entier.

J'ai donc reçu ce matin une enveloppe contenant deux cartes postales, quelques documents administratifs et cette enveloppe épaisse et filigranée. Curiosité.
Non, je n'ai pas reconnu ton écriture au devant, mentionnant cette adresse qui me sert tout à la fois de poste restante et de centre de tri. Mais l'expéditrice au dos du carton ne m'était pas inconnue, pas plus que le second nom à tes cotés.
Alors j'ai souri.

J'ai fait durer le suspense. Je me suis levée du lit où j'étais installée, suis allée me servir un verre au frigo. Je n'ai pas un grand chemin à faire pour cela, tu imagines bien que je réside encore en studio, ici un nouveau meublé loué pour la moitié de l'année, ayant trouvé un contrat pour ces quelques mois.
Ce n'est pas un thé comme nous en partagions autrefois que je me suis fait aujourd'hui ; je réserve les boissons chaudes au diner, lorsque le températures daignent enfin descendre un peu. Oui, j'ai bien rejoint à nouveau les tropiques pour quelques mois ou peut-être, j'espère, une paire d'années. Sans doute que tout dépendra des opportunités.

Il est heureux qu'il soit d'usage d'envoyer bien en avance ce genre d'invitations ; je te promets de réserver au plus tôt mon billet d'avion.

Ainsi tout ceci a donc pris forme et vous en êtres rendus à la mairie... A l'autel aussi, si j'en crois ce que je lis. Pour l'hôtel, il y a déjà quelques années que tu avais rajouté un deuxième oreiller au chevet de ton lit d'étudiante. J'avais eu ensuite quelques échos de votre emménagement commun, des disputes et des bons moments.
Il y avait du bonheur et des promesses, même dans tes pleurs quand tu débarquais chez moi souhaitant que tout cela cesse. Tu passais quelques heures et repartais, vidée de ta colère à défaut de réellement regonflée. Vos retrouvailles se chargeaient de te soigner tout à fait.

Vous formiez un beau couple il est vrai, que beaucoup enviaient. Moi y compris, eh oui !
La libertaire et l'éternelle célibataire. Qui collectionnait moins les hommes qu'elle les regardait passer de loin. Peu daignaient m'approcher, moins encore étaient jugés supportables à rester, même pour la soirée.
La fille libérée, qui bougeait, riait fort et picolait, finissait parfois la nuit dans le lit de l'un ou l'autre... Mais n'y aurait sûrement pas passé sa vie.
Je disais que je n'y tenais pas, que même un soir cela ne m'intéressait pas. Tu savais ce que je n'y trouvais pas, chez ceux-là qui s'intéressaient à moi ; jamais tout à fait, jamais vraiment satisfaisants.
J'étais trop difficile surement, y compris et premièrement pour mon propre bien.

Alors on riait de tes grands projets, maison mariage enfants et de mes idées toujours de passage, courts projets et voyages.
Mais on riait ensemble, y compris lorsque l'on se charriait mutuellement sur nos choix de vie réciproques et différents. On avait l'amitié improbable de ceux qui ne se ressemblent pas à première vue mais partagent bien certains points. Peut-être invisibles à l'oeil et donc, dit-on parfois, plus essentiels.

Sur qu'on ne s'est pas vu longtemps, ayant fait connaissance au bout du monde lors d'un exil volontaire, revenues ensemble un temps avant que je n'embarque à nouveau pour d'autres latitudes.
Revenir sous les nôtres me fera sans doute du bien -ce genre de bien présent et profitable parce qu'on sait ce retour l'affaire d'un moment, non permanent. Le pays m'est escale à présent, pour mon plus grand bonheur.

Le reste ne peut peut-être pas en affirmer autant.
Non, je ne regrette pas d'avoir quitté ce pays, j'en savoure au contraire l'ici où je revis.
Mais... Certes on ne peut pas non plus parler de regrets, non, mais plutôt d'une acceptation pas tout à fait de bon gré. Je parle ici des mouvements et de l'allant, de la bougeotte et des déménagements incessants.
Bien sur je parcoure et découvre des paysages sans fin. Des villes et des campagnes, des us et ds coutumes car c'est aussi, sinon peut-être avant tout, une quête de l'humain que ces départs et ces chemins.

Mais je viendrai c'est promis, même de loin, même d'ici. On ne manque pas l'union rêvée de son amie, fusse-t-elle éloignée, manque-t-on de nouvelles et de quotidien, échangés contre la distance et le flou du lointain.
Car je me souviens.

Et toi aussi visiblement puisque tu as pensé à moi en distribuant ces cartons blancs.
Tu ignores l'effet qu'ont eu sur moi ce geste et cette pensée. N'avoir pas été oubliée, compter encore malgré la distance où j'ai tous les tords. Nul besoin d'argumenter encore le prix de ton amitié et la gratitude éprouvée à cette idée.

Dites leur

Dites leur que je vais bien. Que je parle parfois d’eux, qu’ils restent bien les miens ou que je suis heureux.
Dites leur qu’où je sois je reviendrai. Dites leur n’importe quoi et surtout pas le vrai.
Taisez la détresse et l’oubli, niez le malaise et l’ennui. Ne dites pas que leurs visages s’effacent de ma mémoire en plis, que le souvenir même de leur être me fuit.

Dites leur que je vais bien, que j’ai trouvé ma place enfin. Qu’elle n’est même pas très loin, que je passerai les voir un jour prochain. Dites leur une tendresse en pensées, quelques mots transférés. Dites leur ce qui plait, bien plus que ce qui est.

Niez les rides et les ennuis, taisez le vide et mes envies. Dites leur que j’ai fini par m’ancrer, que je peux les en remercier. Que je me suis posé, satisfait, que la vie est belle tout compte fait. Que la routine est bonne et l’espèce pas si conne.
Dites leur que je suis revenu, à moi-même tel qu’ils m’aiment.  Raisonnable et posé, lucide et cadré.
Ne leur dites pas ce qui est, mes errances et tous mes souhaits. Ne leur dites pas qui je suis, mon essence et sa vie.

Dites leur que je vais bien, que je n’ai besoin de rien. Que je garde d’eux des souvenirs heureux, qu’ils me manquent même un peu. Dites leur mon affection, dites tout ce qu’il est bon.
Mentez encore un peu plus fort et parlez-leur d’amour.

Ne dites rien de la colère et du chagrin des prières. Ne dites rien du dégoût, rien de l’usure de leur fou.
Ne dites rien de qui, de ce que je suis. Pourquoi souligner l’essentiel s’il doit leur être cruel ?
L’histoire a tracé des lignes qu’ils préfèrent encore ignorer. Ne leur dites pas l’indignité, la déchéance où j’ai plongé –à leur avis. C’est bien ainsi qu’ils jugeraient, s’indigneraient. S’attristeraient.

N’imposez pas le récit de mes choix, de ma vie.
Dites leur qu’elle reste auprès d’eux, que je n’ai rien trahi. Que je reste des leurs à mon plus grand bonheur. Camouflez le vrai sous le manteau des flatteurs, les faits sous les clichés les meilleurs.
Ne dites rien de l’horreur, du refus de leurs erreurs. Du refus de leurs peurs et du refus des leurres.
Quitte à faire les miennes et qu’advienne !
En accord quitte à frôler mort plus que trahi, déjà fini pour un confort de vie.

Portez leur des mots attendus, des idées convenues. Ne dites rien de ce qui compte et des choix en bout de compte.
Dites leur l’attendu, portez leur le convenu. N’envisagez pas d’évoquer ce que vous aurez vu, ce que vous aurez su.

C’est ainsi que je suis, confession de l’enfant qui a fui. C’est ainsi que je suis et bien d’autres aussi ; mais pas ainsi qu’ils sont et qu’ils me voulaient à leur façon.
Sans honte et sans fierté ; sans conte où me cacher.
Mais si c’est ainsi que je suis, ainsi que je vis, songez à la distance et l’immensité d’avec ceux là qui pensent à moi parfois, ceux là qui m’ont fait. Ne songez pas à leur imposer ma vie.

Je la porte déjà bien assez, j’en paye au quotidien le prix fracturé de la solitude et la distance en habitude.
Et pourtant je demeure et pour encore combien d’heures ? Qu’advienne tant qu’elles restent miennes et que je reste mien, tant que je ne trahis rien du réel et ne m’assois pas sur l’essentiel. A mes yeux –ceux du cœur, disait l’enfant à l’aviateur.

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