Récits vagants

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Eclats de vies

Communion : la simple présence

Ils laissent passer deux mesures de clavier qui résonne, un peu formel sous les voutes de pierre.

Et les voix s'élèvent dans un bel ensemble. Sa voix à elle, léger alto sans grand niveau, se fond délicieusement dans l'écho qu'ils font vibrer. Ils connaissent bien les couplets : ce chant revient régulièrement.

Elle aime les chants. Aime lorsqu'ils sont ainsi vocalisés, de tout le groupe et sans autre objectif que d'exister. Nul ne juge le niveau. Nul ne grimace à ceux qui chanteraient faux -il y en a, d'ailleurs elle suppose souvent en faire partie. Ils chantent ensemble et le chant, le collectif accueille tout un chacun, avec ses forces et ses faiblesses. Les voix nasillardes et les coffres trop enthousiasmes. Les timbres divins qui n'auront jamais de solo sous les projecteurs. Et tous les autres, et tous ces autres assemblés autour d'un même projet, d'un même moment partagé. De ces moments qui n'existent que parce que partagés.


Elle ne sait plus bien où tout ceci à commencé. Se souvient des messes étant gamine : pas tous les dimanches, mais fréquentes tout de même. Ils y allaient en famille, la grand-mère au coté. Le grand-père restait au café, reniant depuis des décennies toutes ces bondieuseries. C'était un fait, c'était acquis. Avec le temps, les parents manquaient plus souvent qu'à leur tour. La grand-mère emmenait ses petits enfants, avec le plaisir calme des vieilles gens qui ont leurs habitudes, tranquillement.


Elle se souvient, enfant, de l'unité ressentie lorsque toute l'assemblée chante et récite. Notre Père, qui êtes aux Cieux. Elle connaissait les mots qui filaient, chaque fois, répétés sans surprise et jamais sans plaisir. Le plaisir même venait de la répétition, de l'assurance apportée par ces mots immuables. La grand-mère au coté pouvait en témoigner, répétant les prières depuis des années. Les prières c'était l'assurance, le flot du familier. Confiance et stabilité.


Elle se souvient tout particulièrement de l'assemblée qui se répond, donne la réplique à l'officiant dans un ensemble qui dément toute la distance et tout l'inconnu d'avec ces gens dont beaucoup ne se connaissaient, ne se fréquentaient jamais hors des murs.

Béni soit Dieu, maintenant et à jamais. Cela est juste et bon.

Pour Dieu elle ne savait pas trop, d'autant qu'il lui semblait que s'il existait il pouvait se passer de la bénédiction des hommes. Prières et credo, elle n'en comprenait pas toujours tous les mots.

Mais le sens importait peu, pour peu qu'ils soient récités ensemble. Bénis soient les hommes qui prononcent ces sentences, pensait-elle parfois, portée par la joie de la communauté. Car oui, ces mots là, ces gestes là étaient justes, étaient bons. Ils étaient partagés.

Ensemble. Il lui semblait impossible de se sentir seul en répondant ainsi, d'une voix unique formée de dizaine d'éclats. Ici l'isolement n'a pas sa place et, ne serait-ce qu'en ces moments fugaces, pouvait-on savoir et toucher n'être pas seul. Entouré, accompagné. Porteur et porté. Ensemble et intégré.


Dans les chants, prenait tout son sens le terme de communauté. Elle se souvient des regards posés sur les feuillets, de ceux qui connaissaient et ceux qui bredouillaient. Des sourires échangés lorsque son voisin se trompait, lorsque, quelques rangs plus loin, sonnait une voix par trop enthousiaste ou éraillée. Douce complicité, de tous âges partagés. Elle aimait croiser le regard des vieilles dames, pas celles qui jugeaient mais celle qui riaient de ces erreurs et crécelles, qui riaient sans malice.

Les chants c'était la communauté, avec ses individualités, leurs faiblesses et leurs qualités, toutes assemblées pour ce but commun, gratuit et aberrant dans le quotidien, de chanter ensemble et dire l'unité.


Parlant de ces moments d'illumination, qui seraient aberration de l'autre coté des portes : elle se souvient, enfant, du geste de paix. Ces étreintes et ces accolades qui transmettaient, palpable, un amour réel ou qu'elle aimait prétendre tel. Il y avait du bonheur dans ce geste répété aux voisins, aux rangs autour du sien. L'embrassade franche et le sourire aimable.

Et la paix passait. L'étreinte était l'Amour fait geste, fait chair. La fraternité d'individus isolés qui, à ce moment, s'aimaient. Sans doute que tout n'était pas toujours réel. Qu'il y avait de l'obligation et de l'habitude sans passion. Que le geste serait, sinon, bien plus communément offert et reçu passées les portes lourdes de solennité.

Elle s'en doutait. Refusait d'y penser. Acceptait et offrait des étreintes vraies, d'un coeur débordant d'amour et assoiffé de retour. Le geste de paix était un échange d'amour, qui ressourçait qui le voulait. Le geste de paix était l'amour et la paix faites chair, tout ce qui aurait du sous-tendre chaque échange et chaque relation humaine y compris la messe et les portes de l'église passées. Ce n'était pas le cas ; mais du moins pendant ces moments là pouvait-elle y prétendre.


Elle se souvenait de l'envoi, des chants d'espérance et de joie de ces moments qui vont clore l’événement. Il y a toujours de l'enthousiasme dans l'envoi, le terme même est un mot de choix. Toutes les messes ne le proposent pas. Elle se souvient de l'église où elle allait enfant, qui le chantait systématiquement.

Allez, dans la Paix du Christ. Ces derniers mots que prononçaient le prêtre résonnaient en elle longtemps après que leur écho se soit éteint dans les pierres. Elle se souvient, enfant, passer les portes de l'église, sortir à demi éblouie après l'obscurité du lourd bâtiment roman. Éblouie d'amour et de paix tout aussi.


Elle se souvient du seuil de l'église que l'on franchissait léger, léger. Apaisé. Vidé des craintes et rempli d'une confiance à la fois présence et douceur sans masse.


Elle ne sait plus bien ou tout à commencé. Mais enfant déjà, les messes étaient solaires. Porteuses de paix, d'amour et de luminosité. Familier et communauté, amour et sérénité. Peut-être tout ceci parvenait-il, ailleurs et sans raison particulière, à lui manquer.

Au point de mesurer le dessèchement, la soif et le désir ardent au flot jaillissant des prières et des chants.

Repeupler l'absence

C'est encore un matin seul au réveil. Je ne les compte plus, ces temps-ci -ne me demandez pas non plus combien durent-ils, ces temps en questions Ne posez pas de questions.

Je ne m'en pose pas plus que ça. Je m'étire dans le lit toujours un peu froid, après tout j'y suis bien, j'y suis moi. Je me lève et vis comme je me réveille, seul entouré de ceux qui m'aiment, seul en l'absence de toi.

Bien sur ton départ a laissé ce creux, cette présence en négatif de ce qui était et n'est plus.

C'est fou, comme l'on s'habitue. A croire que l'autre est part de sa vie, incontournable et acquise à vie, sans questions, sans hésitations. A l'attendre et compter sur lui. Sur sa présence, des coups de main aux gestes tendres. La présence. Elle tue, quand elle est tue. Quand rien ne me dit plus toi, ton existence ici et là.

C'est drôle, la solitude, tu sais. Sur la fin il nous semblait pourtant qu'on ne partageait plus rien. Qu'on vivait côte à côte, plutôt qu'ensemble. Entente cordiale sans passion ni besoin. Sans flamme ni rien. Alors t'es partie ; et, je ne sais pas ce que t'en dis, mais de mon coté ce vide là, qui va de mal en pis, me semble dire encore qu'il restait quelque chose.

Tu me diras que ce n'était que l'habitude. Comme un meuble, un salon dont on change l'aspect après quelques années, nouveaux aménagements auxquels il faut s'habituer.

C'est vrai que cela fait dix ans que mes parents ont déplacé l'horloge du salon. Et pourtant, à chaque fois que j'y repasse, mes yeux se posent encore d'instinct sur le mur qu'elle habillait toutes ces années où j'y vivais.

Alors peut-être que le vide à mes cotés finira par se laisser oublier. Le silence de ne plus t'entendre, la nuit, respirer. L'immobilisme forcé d'un appartement semblable, en rentrant, à celui que j'ai laissé au matin… Peut-être que tout cela finira, très lentement, par passer.

Je me doute, tu sais. On s'en remet. On reprend de nouvelles habitudes. On remeuble le silence laissé.

Sans doute que si j'habitais encore la maison de mes parents me serais-je fait à l'horloge sur le mur d'en face.

Puisque après tout l'on s'était habitué à ce qui, à un moment donné, était nouveauté -ta présence, incarnée, vivante chaque jours à mes cotés-. On doit donc pouvoir revenir à l'état qui précédait.

Revenir à une vie sans toi. A un quotidien privé du bruit de tes pas.

Il fut, après tout, un temps où ils n'y résonnaient pas.

C'est drôle la mémoire, tu sais. Là tout de suite, je ne m'en souviens pas. C'est comme si mon corps et mon cerveau avaient occulté l'idée. L'idée d'une vie sans toi auprès de moi. Dis, ça existait ça ?

Etrange comme ces quelques mois, quelques années ont pu à ce point m'habituer. Après tout, j'ai plus vécu sans qu'avec toi. J'ai changé souvent d'appartement et ne me trompe pas de porte dans le suivant, n'y cherche pas d'instinct les aménagements du précédent.

Pourtant, ton passage achevé dans mon quotidien, je continue de me heurter, chaque matin, au drap froid de ton coté du lit. Il m'arrive encore de sourire en plein rayon de magasin, devant un article qui te ferait plaisir. Il m'arrive même encore, d'instinct, de le saisir. Avant de le reposer, plus lentement.

C'est drôle comme il me faut faire un effort conscient. Pour me dire que tu n'es plus là, que tout cela s'est achevé et ne sert à rien. C'est drôle quand même. A quel point tu étais consistante dans ma vie. A la fois dans le partout et le précis. L'eau du poisson qui ignore à quel point il baigne dedans. Et tout autant, tout aussi bien, les petits détails de notre quotidien commun.

De là à dire que je respirais grâce à toi… C'est un pas que je ne franchirai pas. Je peux dire pourtant que je suffoque un peu à présent. Il y a ces moments où je m'assois lourdement sur le fauteuil où nul autre ne vient se lover maintenant. Et cela presse, tord intérieurement. Quelque chose qui ripe et momentanément se bloque.

Quelques grains de sable dans les rouages d'un quotidien… D'un quotidien mirage.

Je ris, je vis. Je sors beaucoup en ce moment. Ils disent que cela me fait du bien. C'est vrai, sans doute. Mieux que de rester ici, où tout n'est qu'un cri. Un cri de silence, un cri d'absence. Alors tout est bon pour cesser d'y penser. Comme le disait Cabrel, moi aussi faudrait que je t'oublie à longueur de journée.

Alors je sors. Je bois, je ris, je danse. Je sais que c'est moi que j'oublie parfois. Ma foi s'il faut en passer par là…

Je m'oublie dans le bruit et les présence, dans les amis qui tapent dans le dos, dans l'obscurité prenante du cinéma. Dans les sourires des filles, parfois. J'ai encore un peu du mal avec ça. Ce n'est pas tout de suite que j'ouvrirai mes bras.

Ils me disent qu'il faudrait. Qu'il faudrait que je m'amuse et profite, qu'on emmerde Renaud et que vivre seul c'est surtout vivre libre. Que j'ai gagné le droit de faire ce que je veux.

Loin de toi, des fois je ne sais pas. Pas trop, plus trop ce que je veux. J'ai du mal à me souvenir du temps où ce n'était pas toi que je voulais. Mais vrai qu'il fut et qu'il reviendra. On s'en remet, on en revient toujours il paraît.

Je me doute, tu sais. Qu'on survit au départ, à la rupture, qu'on poursuit ou refait sa vie. Elle continue, comme on dit. Rien de plus normal, rien de plus banal au final. Quelques larmes, quelques potes et hop. De nouvelles rencontres, des projets et le retour du bonheur. Garanti en quelques mois ou quelques années, s'il faut en croire les amis ça marche mieux qu'un marabout ou au moins aussi bien. Le retour du bonheur, à défaut de l'être aimé.

On changera donc de sujet !

Je me doute, tu sais. Qu'a priori la plupart des adultes sont passés par là.

Je me demande juste parfois, dans quelle mesure cela ne contribue pas à les -à nous- tuer chaque fois un peu plus. A éteindre des feux, des certitudes éclatantes qui pavaient un chemin que l'on imaginait parcourir en se serrant la main. Chaque départ fait la route un peu plus noire. Un peu moins sure. Les certitudes et les toujours s'effritent sous l'usure. Il faut réapprendre à marcher seul. A penser et prévoir seul. On est grégaire. Chaque départ c'est un peu plus de trous noirs. Des accros dans la réalité d'un futur que l'on imaginait.

T'as emporté quelques pans en partant. Je peine, c'est vrai, à tout raccrocher. Mais j'y arriverai. Je continuerai et tu ne seras sans doute pas la dernière à partir emportant des bouts de moi.

Combien de fois tu crois qu'on peut survivre à ça ?

On restaure, on reconstruit. On renforce, aussi et c'est tant pis. Je ne tomberai plus amoureux comme je l'ai été de toi : trop échaudé, trop abîmé par ton départ arraché de moi. Je retomberai. Mais j'ai peine à croire qu'il s'agira du même état. Merde, pas deux fois ! Combien tu crois qu'on peut donner ainsi de soi ?

T'as pris beaucoup en partant. Moins, j'espère, que tout ce que l'on s'était donné. Je ne regrette pas nos années. Tu sais, je me relèverai. Cesserai de tendre le bras dans le lit froid, sourirai à ces filles là et ne rirai pas avec les amis juste pour chasser le creux, le déni. Bien sur que je vais, que j'irai.

Repeuplerai l'absence.

Il avançait bien entouré

Il n'y croyait plus. Il ne l'attendait plus, du moins, car personne, semble-t-il, ne pouvait cesser d'y croire et de l'espérer. Mais cela s'était fait attendre. Au point de n'être plus attente, étirée jusqu'à disparaître au profit d'un espoir ténu mais tenace. Tout finissait peut-être par arriver. Cela reviendrait, il fallait espérer.

Les jours passaient, chacun lentement. Qui, accumulés on ne savait trop comment, avaient fini par former des années. Les choses filaient, sans y sembler.

On le voyait traverser, sourire aux lèvres et plein de projets. Il riait assez, vadrouillait beaucoup. Vivait entouré. Il avait cette bande d'amis réguliers, récurrents dans ses sorties et son emploi du temps. Les autres éparpillés, toujours prétextes à s'y déplacer -il aimait bouger, rouler et plus encore quand il s'agissait d'aller voir les proches éloignés. On pouvait l'apercevoir en soirées, en direct ou sur les photos qui ne manquaient pas de s'exposer après. Souvent bien entouré.

Prendre de ses nouvelles tenait souvent du bol d'air -ce n'était pourtant jamais du vent. Il rivalisait d'idées, variées et cohérentes, d'une continuité délurée dont il aimait rire en pensant toujours à la suivante.

Il semblait aller bien. Il allait, c'était certain. D'aucuns louaient sa présence, on lui disait parfois merci de sa simple compagnie. Disait qu'il apportait le sourire et répétait qu'il enrichissait.

Il ne savait jamais trop quoi redire. Haussait les épaules, répondant que ce n'était rien, mais qu'il était heureux s'il avait pu être utile à quelque bien.

Il semblait aller bien. Oh, il avait parfois ces coups de cafard qui vous tombent dessus sans trop d'égards. On l'avait trouvé parfois, roulé en boule dans son canapé. Il le disait parfois, quand on ne comprenait pas son silence où que ses réponses se faisaient plus sèches et moins enjouées. Il râlait parfois, informait quelques proches qui ne manquaient pas de le rassurer, de le réconforter. De l'appeler et de l'inviter. Oui, il était entouré. Assez pour se permettre d'en parler, quand il cessait un peu d'aller.

Pas systématiquement. Il n'aurait pas fallu, non plus, que ce soit trop fréquent. Régulier, par récurrent. Les uns savaient. Tous savaient qu'il pouvait être là, présent, pour chacun et tout le temps.

Il allait, souriant et bien entouré. Il avait ses amis, et même de temps en temps quelque fille pour l'aimer. De temps en temps. Jamais longtemps. Ils avaient renoncé, ses amis, à trop le questionner. Il leur présentait parfois quelqu'un. Venait seul le plus souvent.

En fin de soirée, il lui arrivait de s'épancher, les yeux un peu brillant, sur telle ou telle demoiselle qui lui avait tapé dedans. Il arrivait même qu'il se présente avec elle à la soirée suivante. Le plus souvent non. Dans un cas comme dans l'autre, les yeux ne brillaient plus. Un certain enthousiasme qui s'était tu.

C'était dur, pour ceux qui savaient voir, de le voir au bras d'une jolie nana, le sourire aimable et le regard éteint. Ca en disait long, et pas vraiment du bien.

Il allait, souriant et bien entouré. Il semblait aller bien, hormis parfois quelques coups de mou du genre qui arrivent à tout un chacun.

Il allait, sans allant et seul à crever. Il ne disait rien, et il faisait bien. Pourquoi les inquiéter ?

Il allait seul et le savait bien. Il ne disait rien.

Il savait n'être pas tout à fait seul. Il se savait entouré, savait ses cercles regorger d'amis fidèles et sans compter, de ceux qui l'aimaient et le disaient, de ceux qui même en témoignaient.

Ils étaient là, c'était un fait et cela faisait beaucoup. Mais tout ?

Il allait seul et le savait bien. Il connaissait les failles et elles étaient de taille. Toutes les fois où on lui avait dit « je suis là pour toi » sans que cela n'évoque chez lui le moindre écho. A peine la sympathie, la reconnaissance de se savoir aimé.

Mais reconnu ? Aimé pour ce qu'il faisait, montrait. Etait ? Il y avait là une autre histoire.

Il ne se cachait pas. Il dissertait volontiers sur sa vie et ses pensées. Se confiait sans mal, énonçait tout de go ce qui allait bien ou mal.

Aux amis, c'était assez. Et puis, hormis de loin en loin, il n'y avait pas tant d'occasions, pas tant matière à s'étaler. Ainsi ils restaient. L'assuraient de leur présence et de leur amour, leur amitié.

Tant qu'il n'étalait pas trop tout ce qui le blessait, tant qu'il ne leur renvoyait pas ce qui jamais vraiment n'allait, tant que ce qui clochait chez lui pouvait rester planqué… Tout allait. Et tout irait. Il serait aimé et entouré, choyé et conforté.

Il allait, souriant et bien entouré. Il appréciait ses amis, goûtait sincèrement la chaleur de leur amitié.

Et lorsque l'une d'elle -ou l'un d'eux, c'était arrivé aussi- envisageait de s'approcher…

Ma foi, il s'était affiché déjà avec une fille au bras. Cela pouvait marcher, semblait-il en tous cas.

Il allait, souriant et bien entouré. Galochant et bien enlacé.
Intérieurement gelé.

Il savait ce qui n'allait pas, sans savoir tout à fait pourquoi.

Il savait chercher au dehors l'écho de ce qui le rongeait du dedans. Un regard. Une posture. Un quelque chose dans le rapport au monde et à ses habitants. Un quelque chose qui l'éloignait tout le temps.

Cela passait en amitié. Il attendait de ses amis de bons mots et des loisirs, quelques verres et des soirées à rire. N'espérait pas toucher à l'intime et le sentir partagé.

Cela bloquait bien sur dès que l'une voulait s'approcher. L'envisager.

Il acceptait parfois, rien que pour l'effet. Rien que pour essayer, car au fond il n'avait jamais tout à fait renoncé. Ni à aimer, ni à être aimé. Ni surtout à trouver chez quelqu'un l'écho de ce qu'il cherchait si bien, de ce qu'il ressentait si fort en dedans. Alors dès que cela paraissait possible il essayait. Parfois même il acceptait sans cela, cédait à des avances qui toujours pouvait faire plaisir à l'autre et promettre de bons moments partagés.

Il se réveillait la nuit, s'efforçant de ne pas bouger pour ne pas la réveiller, dans les insomnies de sa solitude accompagnée. Bien sur qu'il était bon d'être aimé. Et jamais par n'importe qui. Il respectait les femmes qu'il prenait dans ses bras, dans son lit. Dans sa vie.

Elles ne venaient jamais vraiment dans sa vie. Dans son quotidien, oui. Dans l'intimité de son ressenti…

Il avait cessé d'y croire ou du moins d'entretenir l'espoir. Il allait, seul et bien entouré. Il riait beaucoup, souriait plus encore. De ces sourires désarmants, d'évidente simplicité. Bien sur qu'il vous aimait. Tous -ou presque, faudrait pas déconner.

Il aimait. Et se sentait pour autant incapable d'aimer. D'aimer autrement. D'aimer autrement que les bras ouverts aux quatre vents. D'aimer autrement que globalement. Ce n'était pas tout à fait ça. Il aimait les gens. Et certains, tout particulièrement. Certains avaient son estime et son admiration, un amour pour le moins débordant.

Et lorsqu'il refermait ses bras sur le corps chaud de la femme qui partageait ses draps, il sentait bien qu'il aimait ainsi. Généreusement. Incapable d'aimer autrement. Incapable, lui soufflait quelque chose en lui, d'aimer vraiment.

Ses relations ne duraient jamais longtemps. Il se lassait. C'était horrible à penser, sans parler de l'avouer. Alors il trouvait autre chose. Des disputes. Des projets qui divergeaient. Quelque chose. N'importe quoi qui lui permette de s'évader. Il détestait ce terme et pourtant sans cesse y revenait.

Il n'y croyait plus sans avoir tout à fait cessé d'espérer. Entre temps il cheminait seul et bien entouré voire acceptait de faire un bout de chemin avec quelqu'un.

Aucun n'avait été inutile. Toutes l'avaient mené quelque part. A chacune, espérait-il, il avait apporté quelque chose.

Et toutes et chacune n'avaient chaque fois été envisagées comme un bout de chemin. Un bout dont, presque, il voyait déjà la fin. Il savait que cela irait plus ou moins loin. Puis cesserait. Que les chemins bifurqueraient. Qu'il n'aimait pas assez pour rester. Juste assez pour se poser, pour échanger et construire même s'il le fallait. Construire sans durer.

Il n'espérait pas grand-chose de plus. N'espérait pas, plus grand-chose de plus. Que quelques tronçons accompagnés sur un chemin bien entouré.

Il avait cessé de se préserver, d'attendre et d'espérer la vraie. Il avançait comme il pouvait, par a-coups et sans plan préparé. Saisissait les opportunités. Avançait et aidait, sans compter.

Offrait et recevait beaucoup d'amour. Il le disait, le savait.

Le grand, avec la capitale et tout le décorum, il ne planifiait plus sa vie comptant dessus.

Lettre d'amour

Ça n'est pas sans tristesse que je mettrai fin à cette relation. L'idée, l'expression même en est hideuse mais c'est, je crois, bien ainsi que ce peut être dit.

Nous nous séparerons, de ma volonté ; je te quitterai mais pas si volontiers. J'ai conscience, peut-être autant que toi, du gâchis de se séparer. De la chance de pouvoir passer du temps à tes cotés.

Je sais stupide d'être incapable d'en profiter, d'en profiter comme il faudrait, de t'aimer comme je devrais. Comme tu le fais.

Il est terrible, tu sais, de reconnaître cette incapacité, qui reconnaît d'abord tes qualités. Rares, éprouvées. Et prouvées. Bien sur je t'aime et t'ai aimé. J'ai pour toi cette affection sincère et prolongée, la tendresse et l'attachement bien ancré. Mais pour autant, légèrement distants. Je sais à quel point tu es bien et tout à la fois ne peux que reconnaître n'être pas amoureuse. Ne l'être plus peut-être. J'aime autant croire l'avoir été un temps, plutôt que juste illusionnée -même si reste le souvenir, tout du long, de ce froid d'arrière-fond bien ancré, la distance au sein même de la romance.

Disons cependant que je t'ai aimé, si tu veux bien, j'y tiens. Que tout n'aie pas été que rêves, élucubrations tristes quand la solitude rencontre une illusion possible. Il t'a été, un temps, possible de faire illusion. Il m'a donc été un temps possible de t'aimer. J’eus aimé que cela dure plus longtemps -que cela grandisse, évolue mais dure en continu. Jusqu'à la fin des temps, au moins, évidemment.

Je m'en vais donc et vais alors reprendre la route. Je te laisse nos amis communs -ils étaient, après tout, tiens avant d'être miens même si je suis entrée dans leur vie avant de débouler dans la tienne. Et même si tu en as d'autre, même s'ils sont mon seul appui dans ce coin de pays, tant pis. J'ai la route comme amie, j'ai le départ qui souffle encore sur mes histoires et l'envie de bouger vient toujours aider à sécher les larmes versées. Je pars sans toi, je serais partie qu'eux aient été là ou pas.

Je ne doute pas que tu retrouveras bientôt quelqu'un, pour le cul ou plus sérieux, selon ce que tu trouveras mieux. Tu n'es pas du genre à garder la place froide trop longtemps, quitte à la remplir sans y penser trop sérieusement.

Je te la souhaite bien faite. Car tu es particulièrement attirant, du genre qu'on ne refuse pas de mettre dans son lit. Je te la souhaite bien faite, qu'elle se sente un peu moins dépareillée que je ne l'étais à tes cotés. Tu mérites mieux, ne serait-ce que pour l'aspect harmonieux.

Tu trouveras certainement, pour un temps ou plus longtemps. Durablement si vous l'envisagez tous les deux sérieusement. Tu es après tout sacrément attachant.

Je te souhaite une fille belle et bien faite, qui t'aimera sans prise de tête. Qui n'accordera pas une importance démesurée à ce que tu considères -à juste titre- être des détails. Qui vous évitera ces engueulades et incompréhensions qui étaient notre lot quotidien, bien plus que la passion. Je ne te souhaite pas plus la passion que tu ne sembles la chercher. Mais un attachement honnête, sûr et bien accompagné.

Je garde mes idylles et rêveries inavouées, les envies fantasques de complicité. Tu estimais tout à fait assez, suffisante celle que l'on partageait. Elle me semblait, malgré les années, moins belle et réelle que la première trouvée chez une conquête de quelques semaines.

Je te souhaite une fille qui te causera moins d'embarras. Personne d'aussi généreux et de bonne foi, bien qu'un peu maladroit, ne mérite les crises et les disputes que tu trouvais avec moi.

Je te souhaite d'être plus heureux que je ne l'ai été -surtout sur la fin-, je la souhaite plus sereine et confiante, moins fantasque que je ne l'ai jamais été. Moins sensible, sans doute ; comme en tous les excès nuisent et je sais tirer de là et l'incapacité d'aimer et la distance que tu soulignais.

Je remballe mes insatisfactions mal énoncées, mes rêves et mes incapacités. Je n'avais pas grand chose à t'offrir que ces lacunes déjà citées ; j'ignore comment tu as pu t'en contenter. Comme d'autres me l'ont dit déjà, tu jugeras peut-être plus tard que tout est mieux ainsi, que rien de bon ni durable ne serait sorti de cette relation pleine de froids et de conflits, d'essais et de blessures morales, réciproquement glaciales.

Tu ne les concevais pas ainsi, bien sur, pas autant que moi malgré les tentatives d'échange à ce sujet. C'est pourquoi il fallait que j'atteigne les limites, que je songe à te quitter et te le dise pour que tu en mesures peut-être enfin la gravité. Encore songeais-tu parfois la menace en l'air, faisant partie de mes airs et du drama.

Je te détestais, et me méprisais de devoir en arriver là. Toi d'être incapable de sentir le problème avant que je n'y mette de gros mots, moi d'être si violente et si poreuse à tes coups et tes défauts. De sembler exagérer, d'avoir l'air de faire du théâtre à chaque mot un peu haut.

Alors je reprends mes cliques comme j'ai repris mes sentiments. A regret, sur la défense et en rampant. Comme ces bêtes qui vont se terrer, lécher leurs plaies seules au terrier.

Sans doute que tu seras triste et dépité. Nul doute que tu en resteras un peu blessé. On revient toujours amoché de ces histoires d'amours terminés. J'en suis d'avance désolée.

Mais pour autant ne peux que me sauver -m'esquiver, quitte encore à me condamner.

Aimer et partir (2/2)

Mais autre, au moins. N’étant plus le quotidien qu’il venait de quitter, quitte à vite s’y retrouver.
C’est le mouvement qui me porte, le changement qui importe, avait-il coutume de dire ou penser –tant il est vrai que tous n’étaient pas prêts à l’entendre ou l’accepter.


Alors le plus souvent ne disait-il rien. Il s’éclipsait silencieusement d’un lieu, d’un monde occupé temporairement, arguant s’il le fallait d’un emploi, de projets pour là bas, d’amis plus anciens que ces connaissances de contextes et d’un temps.


Bien sur, ce cas là était différent. Dire à ceux qu’il avait élus, ceux qui l’avaient bien voulu parmi eux, l’attendaient et l’appréciaient. Dire à celle qu’il aimait et qui lui semblait attachée… Leur dire quoi ? Leur dire qu’il s’en allait, qu’il allait… Il ne pouvait plus prétendre retrouver d’autres proches et d’autres amis, non plus même qu’un emploi qui l’aurait plus attiré.
Il avait ici de quoi bâtir ses projets, bien entouré tant professionnellement que personnellement. Il avait tout pour se fixer, s’installer et construire dans la durée ces idées qui lui tenaient à cœur. Car il avait des idées, des projets et des envies de rester.


Simplement, il n’était pas certain de vouloir tout de suite les mettre en pratique. Il estimait qu’il aurait bien le temps de se fixer, de s’installer. Bien sur, lui répliquait-on, mais aussi celui e bouger. Il pouvait bien se poser, ne serait-ce quelques années, bâtir un peu ses projets, s’entourer de ceux qui le souhaitaient, de ceux qu’il souhaitait.

Puisqu’il accédait maintenant à un contexte existant, qu’il avait cherché longuement et n’avait plus qu’à saisir, à vivre intensément. Le temps qu’il durerait, puisque rien n’est éternel ; après repartirait-il !

C’est vrai, pertinent et évident reconnaissait-il, s’ancrant du mieux qu’il pouvait dans ses proches et ses projets. C’est vrai, il avait longtemps couru après un tel contexte, qui lui permettrait de se réaliser, de n’être pas dans un provisoire atteint plus ou moins par hasard. Car il s’était auparavant un peu baladé, un peu balloté, de villes en territoires et de potes en connaissances. Sans grande raison ni fondement, arrivant là sans l’avoir voulu vraiment.
Ici c’était différent. Il avait voulu venir, sachant trouver ceux qu’il aimait et de quoi vivre ses projets. Il avait voulu venir pour s’installer et durer.


Pourtant, à peine arrivé déjà l’envie d’ailleurs le reprenait. C’en était à désespérer. Quand, finalement, s’arrêterait-il ?

Ou du moins, puisqu’il était décidé, contre vents et marées à se fixer, à tout faire pour un peu durer, quand donc cesserait l’appel, ce désir lancinant d’un ailleurs, n’importe où et au devant ?


Alors il la serrait plus fort, s’enfouissait contre son corps. Riait plus fort et reprenait un verre encore.
Inquiétait parfois, dans ses tendances à en faire un peu trop. En privé, inquiétait aussi par ses passages à vide un peu maussade et déprimé. Par ces moments où il s’accrochait à elle, en plein tourments. Il avait pleuré, une fois, dans ses bras ; elle s’en était durablement alarmée.
Bien sur ne comprenait-elle pas, ne comprenaient-ils pas. Comment dire je t’aime, dire je vous adore mais pars encore, vous quitte de ce pas ou le ferai bientôt. Quand je ne sais pas, mais suis sur de le vouloir déjà… Comment envisager aimer et souhaiter quitter tout à la fois ?


Il ne savait pas quoi faire de ces pulsions là. Fatigué parfois, refusait d’y penser et ne souhaitait que se laisser aller, au sommeil ou à l’ivresse, de l’alcool et des rires ou du corps et ses plaisirs. Ne souhaitait que ce qui pourrait l’apaiser, ne fusse que momentané. Il était las de la tension, de l’écartèlement permanent nourri de l’insatisfaction. Quand cesseraient donc les questions ?
Il l’ignorait, se contentait de fixer aveuglément le plafond sans passion, de tourner en rond seul entre les draps, ces soirs où il regrettait que la femme ne soit pas là. Sa présence au moins détournait l’attention, laissait de coté les questions.

Bien sur elle ne les réglait pas ; d’ailleurs elle finissait toujours par repartir, le laissant seul à ces questions qui n’en attendaient pas plus pour resurgir.


Sans parler de la moindre tension, la moindre déception. Il l’aimait, plus qu’il ne l’aurait parié initialement. Comme tout un chacun et toute relation, ils avaient aussi ces moments de froids, quelques désaccords jamais bien graves ni durables qui sont le propre de tous ceux qui entrent en relation.
Ces moments pouvaient être facilement surmontés. Mais dans son cas, n’en faisaient que nourrir et provisoirement renforcer l’envie, le besoin de partir.


D’un jour sur l’autre, lui-même en devenait indécis.

Il avait tout ici, estimait-il non sans raison, ne pouvait que rester tout y incitait. Il s’agissait alors de résister, c’était sans doute comme arrêter de fumer, question de raison et de volonté. Tout y poussait.


Alors il s’accrochait, serrait les dents et dessinait en pensées la courbe des épaules qu’il aimait embrasser, se remémorait les murmures tendres avoués. S’accrochait à l’idée de la prochaine soirée, des bons moments passés qui se renouvelleraient, il le savait.


Et ne pouvait, pour autant, pas s’empêcher de chercher et de répondre à ces opportunités qui l’éloigneraient. Pas s’empêcher de rêver à des ailleurs et des lointains qui l’appelaient.

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